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tes yeux encore gros de sommeil…

— Je vous assure, mon oncle…

— Eh bien, n’en parlons plus. Veux-tu fumer un cigare ?

Il indiquait un guéridon sur lequel se trouvait disposé tout le nécessaire de l’homme qui s’intéresse à cet agréable passe-temps. Il y avait des pipes de toutes sortes et de toutes formes. Il y avait des cigarettes turques, des cigarettes françaises, des cigarettes américaines, il y avait peut-être des cigarettes populaires… En outre une collection de cigares de choix eût fait les délices du connaisseur ; des havanes purs et demi purs, secs à point et demi secs… Il avait encore des allumettes d’une variété fort étendue. Il y avait… mais passons !

M. Quik se contenta de prendre au hasard une cigarette quelconque. Il l’alluma avec une distinction, une élégance, une grâce que lui eussent enviées certaines dames de la haute !

— Mon cher neveu, continua le docteur qui avait, lui, allumé un cigare, tu vois sur cette table quelques livres nouveaux, des revues françaises et des magazines américains… À propos, Benjamin, tu lis le français ?

Cette question imprévue parut fort embarrasser M. Quik. Il hésita une seconde. Puis, sans assurance du tout, il répondit :

— Mais oui, mon oncle, tout aussi bien que vous, je pense.

— Bon. Cela me fait plaisir. J’ai justement un récit très curieux à te faire lire… très mystérieux… très émouvant. Tiens, le voici… Lis le titre, et cela te dira tout.

M. Quik, d’une main tremblante, prit la petite brochure et lut… c’est-à-dire que nous lisons pour lui LA FEMME D’OR. Il sourit… mais au fond, au tréfonds, il était épouvanté de cette seule pensée que le docteur aurait pu tout aussi bien lui demander de lire ce titre à haute voix. Si cet événement se fut produit, M. Quik qui n’avait jamais appris que sa langue maternelle — c’est-à-dire la langue — anglaise aurait vu son