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LE SIÈGE DE QUÉBEC

Pertuluis que ce grenadier qui est venu chercher mon enfant ?

— Si j’en suis certain… Mais je n’ai pas le moindre doute. Il ne peut y avoir de méprise possible au portrait qu’en a fait le père Raymond. Et puis j’ai bien reconnu son inséparable, le sire Regaudin. Oh ! voilà deux cagnards qui achèvent de s’ébaudir à nos dépens. Par ma foi ! je leurs promets trompettes et lurettes ! Ma pitié, à la fin, se lasse ! Je leur tordrai les tripes si bien que je leur ferai vomir tout leur venin ! Allons, capitaine ! je me mets sans plus à leurs trousses, et du diable si, demain, je ne vous rapporte pas votre enfant !

— Mais où trouverez-vous ces deux gredins ? demanda Jean Vaucourt qui doutait des promesses de Flambard.

— Où je les trouverai ? Mais dans leur compagnie, les grenadiers.

— Cette compagnie a été divisée en deux détachements dont l’un a été mis sous les ordres de Monsieur de Bougainville, l’autre sous ceux de Monsieur de Lévis.

— En ce cas, il faudra s’adresser à Monsieur de Lévis ou à Monsieur de Bougainville, répliqua Flambard.

— Mais Monsieur de Lévis commande à Montmorency, et Monsieur de Bougainville au Cap Rouge.

— J’irai de l’un à l’autre, dit Flambard résolument.

— Ce jeu pourra vous occasionner de vaines et longues démarches, mon ami, reprit le capitaine. Ne vaut-il pas mieux savoir de quel détachement font partie Pertuluis et Regaudin ?

— Si nous avions un moyen de le savoir…

— Nous l’avons en s’adressant à Monsieur de Vaudreuil.

— Vraiment ?

— J’en suis presque certain. Or, comme j’ai rendez-vous auprès du gouverneur, je profiterai de l’opportunité pour me renseigner. Allons, mon ami, suivez-moi au Château Saint-Louis.

— C’est bien, allons ! consentit Flambard.

Le Capitaine, avant de partir, mit dans les mains du mendiant une bourse rondelette et dit :

— Père Raymond, je vous remercie pour avoir donné de bons soins à mon enfant. Si, un jour, vous aviez besoin de ma protection, venez à moi sans crainte, puisque je me réserve à votre égard une dette de reconnaissance.

Les deux amis quittèrent la baraque du mendiant au moment où dix heures sonnaient à un beffroi de la haute-ville.

— Dix heures… murmura Jean Vaucourt, je serai en retard à mon rendez-vous. Pourvu que Monsieur de Vaudreuil ne soit pas parti pour Beauport…

— Soyez tranquille, répondit Flambard. Si monsieur de Vaudreuil vous a donné rendez-vous, il vous attendra.


VI

PAPA REGAUDIN ET PAPA PERTULUIS !


Nous ne rapporterons pas la conversation qu’eut, ce soir-là, Jean Vaucourt avec M. de Vaudreuil. Il nous suffira de dire que le gouverneur avait mandé le capitaine pour le dépêcher à M. de Montcalm, qui le voulait mettre à la tête d’une compagnie de miliciens de son armée. Flambard profita de l’occasion pour obtenir du gouverneur la permission de quitter les grenadiers et de se battre là où il lui plairait ; car notre héros venait de décider de se mêler à tous les régiments dans l’espoir de retrouver Pertuluis et Regaudin. Consulté à ce sujet, M. de Vaudreuil n’avait pu spécifier à quel détachement les deux grenadiers avaient été envoyés.

— C’est bon, avait grommelé Flambard désappointé. Je finirai bien par les dénicher un jour ou l’autre, et alors… gare !

Mais dès le lendemain de ce jour allaient commencer les premières hostilités entre Français et Anglais et les premières escarmouches.

Aussi, avant de transporter notre lecteur sur les champs de bataille, nous lui présenterons un tableau d’un tout autre genre et d’une composition assez bizarre, mais réelle, tableau en lequel deux personnages bien connus se dessinent en évidence : nous voulons parler du « Chevalier de Pertuluis et de son écuyer le sieur de Regaudin. »


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Le détachement de grenadiers envoyé à M. de Lévis à Montmorency avait reçu contre-ordre du général Montcalm, et avait été attaché à l’armée du centre. On lui avait assigné comme poste un endroit assez élevé au-dessus de la rivière Saint-Charles, où il avait été occupé à faire des ouvrages défensifs. Une dizaine de tentes y avaient été dressées, et leur blancheur se dessinait doucement sous le soleil et sur la verdure claire des jeunes frondaisons qui, au delà, habillaient un tertre sur lequel une équipe de grenadiers bâtissait une sorte de fortin.

C’était le 27 juin, le lendemain de ce jour où la flotte anglaise était venue jeter l’ancre devant l’Île d’Orléans.

En deçà du tertre, et un peu à l’écart des tentes, l’on pouvait découvrir une baraque ou hutte faite de troncs d’arbres équarris et avec un toit à chaume en pente douce. Par la cheminée qui perçait le toit une forte colonne de fumée s’échappait, et de l’intérieur de cette habitation rudimentaire partaient des bruits d’ustensiles quelconques. À ces bruits se joignait parfois une voix furieuse qui hurlait :

— Biche-de-bois ! tu ne veux donc pas faire ton dodo, p’tit bougre !

Un enfant pleurait.

La voix, plus furieuse, reprenait :

— Oh ! le p’tit pendard… il braille si fort qu’il ne peut manquer d’attirer l’attention des English ! Il va nous faire bombarder pour sûr, le p’tit gueux ! Fais dodo, te dis-je, fais dodo ! C’est papa Regaudin qui parle !

Aux pleurs d’enfant qui devenaient des sanglots se mêla un rire sonore et narquois. Puis une voix basse et profonde retentit :

— Hé là ! papa Regaudin, tu n’as pas le tour de ça d’élever des marmots, ventre-de-grenouille !