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LE SIÈGE DE QUÉBEC

ce rivage presque plat et spacieux où une armée assez nombreuse peut se déployer à l’envi ! Voyez où nous sommes, nous : sur des hauteurs embroussaillées et fortifiées d’où nous commandons ! Et voyez, à droite, la rivière Saint-Charles où Bougainville pourrait manœuvrer ; à gauche, Montmorency d’où Lévis pourrait descendre comme la foudre ! N’est-ce pas clair ? Avec un peu d’ensemble et d’impétuosité nous mettrions l’anglais en bouteille, et v’lan !…

— Certes, admit Vaucourt, votre plan serait généreux et sûr à condition que l’ennemi ne nous attaquât pas sur notre flanc gauche, comme le redoute Monsieur de Montcalm.

— Ah ! au fait, en cette hypothèse il aurait fallu détourner, par une feinte quelconque, les Anglais de cette tentative. Et encore, à l’heure qu’il est, je lancerais quelques compagnies de Canadiens contre les positions anglaises à Montmorency, et, par certains mouvements de troupes de ce côté de la rivière, je laisserais penser au général Wolfe que nous nous dégarnissons ici, pour qu’il fût tenté de jeter sur cette plage toute son armée que nous taillerions en pièces.

— Mais cette idée est peut-être celle du général Montcalm.

— J’en doute, puisqu’il donne ordre de repousser toutes tentatives de débarquement des Anglais. Or, je conçois qu’il importe, pour battre les Anglais ou eux-mêmes pour nous battre, qu’ils viennent à terre, puisque nous n’avons pas de navires pour aller les rencontrer sur l’eau.

— C’est juste, sourit Jean Vaucourt.

Les tactiques de notre ami Flambard étaient peut-être celles d’un soldat ardent, brave, impétueux, plutôt que celles d’un véritable tacticien de la guerre. Il avait certainement l’œil d’un valeureux troupier ordinaire, mais non celui d’un général. Quoi qu’il en soit et sans vouloir diminuer la valeur militaire de Montcalm, nous pouvons dire que cette affaire de Montmorency aurait pu s’appeler la Bataille de Beauport et entrer dans l’Histoire comme un événement décisif. Il n’y a pas de doute que, là, fut la seconde erreur de Montcalm, en ne donnant pas aux Anglais le temps de se déployer sur la plage de Beauport : c’eût été fort probablement le salut de la Nouvelle-France. La terrible Armada anglaise n’était pas tant un danger par elle-même que la forte armée de terre qu’elle transportait dans ses flancs, et c’est l’armée qu’il importait d’attirer sur un point de la côte et d’anéantir. Il est fort probable que Montcalm avait eu cette idée ; et il est certain que le Chevalier de Lévis avait conçu un plan de ce genre, si nous nous en rapportons à certaine relation du temps ; mais il appert que M. de Vaudreuil et François Bigot s’étaient fortement opposés à ce plan audacieux.

Vers les deux heures de relevée de ce jour du 28 juillet, Jean Vaucourt et son bataillon se trouvaient embusqués dans les buissons qui bordaient le chemin de Courville, et à ce moment les canons de la flotte anglaise et ceux des deux transports échoués sur le rivage lançaient un vrai torrent de projectiles sur ce point.

Là, Montcalm avait fait construire des ouvrages en terre qui protégeaient les Canadiens contre le feu des ennemis. Çà et là des redoutes avaient été élevées et garnies de petits canons. Tous ces ouvrages défensifs avaient été aménagés de meurtrières permettant aux Canadiens de surveiller l’approche de l’ennemi et de répondre à leur feu. Ils s’élevaient en gradins irréguliers des bords du fleuve jusqu’au village de Beauport, et ils étaient pour la plupart masqués par des taillis et des bosquets aux feuillages touffus. Si l’armée anglaise se fût engagée dans les méandres de ces fortifications, elle y eût été anéantie. Mais le plan de Wolfe était seulement d’inquiéter sérieusement l’aile gauche de Montcalm, tandis que le plus gros de ses forces emporteraient les premières défenses du rivage de Beauport et gagneraient la rivière Saint-Charles et les Faubourgs de Québec. Le général espérait mettre une barrière solide entre Montcalm et Bougainville et entre la capitale et l’armée de Beauport. Il allait échouer parce que ce plan avait été en partie deviné par Montcalm qui demeurait sur ses gardes.

Pour en revenir à nos amis, Jean Vaucourt et son bataillon, sur l’ordre du marquis de Montcalm, avaient occupé les épaulements qui dominaient et protégeaient la route de Courville, route qui s’élevait vers les positions occupées par l’armée du chevalier de Lévis.

Sous ces épaulements et en bas de la route parmi les taillis qui bordaient le rivage quatre redoutes avaient été dressées pour défendre l’entrée du chemin de Courville. Dans ces redoutes Montcalm avait aposté ses meilleurs tireurs canadiens et les avait mis sous les ordres de Vaucourt. Elles étaient invisibles à l’œil de l’ennemi, masquées qu’elles étaient par un rideau de jeunes frondaisons. Mais Wolfe se doutait bien que chacun de ces taillis et que peut-être toutes les broussailles devaient abriter ou des Canadiens ou des Français, et il faut croire qu’il avait l’intention d’aborder la route de Courville, puisque, vers les deux heures, il fit tomber une avalanche de fer et de feu sur ces redoutes et la brousse avoisinante ; si bien que les tireurs canadiens durent évacuer deux de ces redoutes pour retraiter derrière les remparts gardés par Jean Vaucourt et ses miliciens. Puis à leur tour ces remparts furent assaillis par une grêle de projectiles qui hachèrent bois, taillis, buissons. Les Canadiens de Jean Vaucourt, protégés par les parapets de leur ligne, ne bronchèrent pas ; ils essuyèrent durant une heure cet ouragan de fer sans autres dommages appréciables que quelques miliciens blessés par des éclats de bois.

Cependant la flottille de berges ennemies n’avait pas cessé ses manœuvres dans la rade, et vers quatre heures elle s’approcha lentement du rivage sur une largeur qui semblait couvrir la distance qui séparait le pied de la route de Courville et celui de la chute Montmorency : mais la plus forte partie de ces berges se dirigeaient plutôt vers la chute. À cet instant, la bataille s’engageait aux abords de la Rivière Montmorency où une colonne de deux mille soldats anglais, après avoir traversé la rivière,