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LE SIÈGE DE QUÉBEC

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Dans l’obscurité ils cherchaient le panneau de la trappe. Heureusement pour eux, les murs de la baraque, emportés par la pesanteur de la partie du toit qui était demeurée intacte, penchèrent du côté de la falaise qui en arrêta la chute complète, sans cela, les deux grenadiers eussent probablement été écrasés à mort.

Un pan de mur demeurait suspendu au-dessus de leurs têtes, et les projectiles continuaient de pleuvoir sur le voisinage.

À la hâte ils fouillèrent les décombres, les repoussèrent et finirent par trouver le panneau de la trappe. Mais l’obscurité était si profonde que Pertuluis cria :

— Ta bougie, Regaudin !

— Ton briquet, Pertuluis !

En fouillant ses poches, Regaudin trouva un bout de chandelle que son camarade réussit à allumer.

— Au ! diable, grogna Pertuluis en promenant ses yeux autour de lui, ne sommes-nous pas ici dans cette cabane de ce vieux mendiant…

— Le père Raymond ?

— Juste.

— Oui, c’est bien la demeure du vénérable mendiant, cher Pertuluis. Mais voilà la cave…

Regaudin s’y précipita en entendant la pluie de fer redoubler autour d’eux.

Pertuluis le suivit et laissa retomber derrière lui le panneau de la trappe.

À l’instant même, un fracas terrible retentissait, la terre parut secouée violemment, à tel point que Regaudin dégringola la moitié de l’escalier de la cave ; puis il se fit une avalanche de pierres… mais une telle avalanche que les deux grenadiers crurent un moment que tout le cap et toute la haute-ville s’abattaient sur eux. Mais une fois encore ils ne subirent que l’effet de la peur : une partie des murailles du Fort Saint-Louis venait de dégringoler sur les décombres du voisinage.

— Ventre-de-bœuf ! grommela Pertuluis, je me demande si nous pourrons jamais sortir d’ici vivants !

En finissant ces paroles il mettait les pieds sur le sol humide de la cave. Regaudin se relevait de sa chute en maugréant. Alors Pertuluis éleva sa bougie pour examiner l’endroit. À la même seconde Regaudin poussa un cri effrayant, mais un cri comme jamais en sa vie Pertuluis n’en avait entendu. Et il vit son compagnon livide comme la mort, secoué comme une feuille par un tremblement indicible, et il vit en même temps Regaudin regarder avec horreur une chose extraordinaire. Ses yeux cherchèrent aussitôt l’affreuse chose, ils la découvrirent aux pieds de Regaudin. Pertuluis ne put s’empêcher de faire un pas de recul… car, là, sous les regards épouvantés des deux grenadiers gisaient deux corps humains immobiles, inanimés. Ces deux cadavres demeuraient étendus face contre terre, côte à côte, et l’un d’eux de son bras gauche enserrait le cou de l’autre, comme si, dans la mort, ils avaient voulu s’en aller ensemble l’un contre l’autre. Puis Regaudin remarqua que ces deux cadavres masquaient un trou quelconque. Chassant l’horreur, il se pencha, souleva le premier cadavre et le rejeta par-dessus l’autre. Il vit sa face qui était d’une lividité affreuse, des yeux grand ouverts, mais blancs, ce qui parut plus creux.

— Le père Raymond ! bégaya-t-il.

— Et sa femme ! ajouta Pertuluis en frappant du pied l’autre cadavre.

Les deux corps apparaissaient sans blessures. Étaient-ils morts de faim ou simplement d’épouvante ?

— Hé ! Regaudin, cria tout à coup Pertuluis, qu’est-ce que je vois là ?

Il indiquait le trou.

Mais ce trou, Regaudin l’avait déjà aperçu, et au moment où son compagnon l’interpellait, il avait aperçu bien autre chose ! Il fut secoué de nouveau des pieds à la tête par un tremblement encore plus violent que le premier. Mais ce n’était pas de l’horreur cette fois… c’était une espérance folle ! Regaudin voyait un coffre dans le trou ! Il se jeta dessus à plat ventre, criant :

— Ah ! mon coffre… mon coffre, Pertuluis ! Mon coffre que j’avais perdu !

Les yeux de Pertuluis papillotèrent comme la flamme de sa bougie.

— Ventre-de-roi ! Regaudin, n’est-ce pas plutôt le mien que ce lourdaud de mendiant m’aurait esbroufé ?

Biche-de-biche ! que non pas ! C’est ce coffre, ce même pauvre coffre que j’avais prêté à sa femme pour y mettre ses joyaux ! Oh ! mon cher coffre !… Même que ces deux brigands me l’ont un peu allégé !

— Allégé, dis-tu ? Mais tu ne peux le soulever à toi seul. Laisse-moi faire, Regaudin !

— Il est trop lourd pour toi, Pertuluis. Vois-tu ? On dirait que quelque force satanique le retient au fond du trou. Voyons, approche le quinquet, Pertuluis ! Oh ! mon coffre !… mon cher coffre ! Et dire que je le retrouve dans le fond d’une fosse !

— Qu’heureusement on n’a pas comblé, ajouta Pertuluis.

Regaudin fit un grand effort pour tirer à lui le coffre, Pertuluis entendit sa respiration rude, terrible ; il vit les nerfs de son cou se tendre, prêts à se briser… Mais le coffre ne montait pas vite.

— Laisse-moi faire, te dis-je ! reprit Pertuluis.

— Que non, cher ami, tu t’éreinterais !

Enfin, Regaudin réussit à tirer tout à fait le coffre de son trou. Par un rapide mouvement il souleva le couvercle, et deux cris de surprise joyeuse se mêlèrent aux bruits de la canonade. Puis, à genoux tous deux et penchés sur le coffre, les deux grenadiers plongeaient leurs mains dans un flot de pièces d’or et d’argent, flot qui rutilait et qui bruissait merveilleusement.

— Ah ! Pertuluis, une vraie musique de Paradis !

— Oh ! Regaudin… que de carafons dans ce coffre !

Déjà Pertuluis emplissait ses poches.

— Eh là ! eh là ! hurla Regaudin en repoussant son compère, ne me pille pas ! Attends !

Il se mit à emplir ses poches à son tour.

— Un vrai trésor de Pharaon ! bégayait-il.

— J’ai envie de m’en emplir le ventre, Regaudin, car on ne pourra pas tout emporter…

Et voyant à la fin qu’il ne pourrait tout pren-