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LE SIÈGE DE QUÉBEC

Il y avait un quart d’heure que le combat durait, que la victoire penchait déjà du côté des Anglais. Wolfe fut atteint d’une troisième balle en pleine poitrine. Ses aides-de-camp le ramassèrent parmi les cadavres et d’autres blessés et le transportèrent à l’arrière des lignes où il allait expirer quelques minutes plus tard, sans avoir eu le temps de saluer la victoire de ses troupes. La disparition du premier chef ne parut pas affecter le moral des Anglais. Monckton ayant été gravement atteint à son tour, ce fut Townshend qui prit le commandement de l’armée, secondé par le brigadier Murray et le colonel Burton.

De ce moment la bataille entière se concentra sur les centres des deux armées.

Sénézergues n’avait pu contenir plus longtemps les Montagnards écossais, et il s’était replié du côté de la Porte Saint-Jean. Les milices de Fontbonne étaient déjà en déroute et retraitaient en désordre vers la Porte Saint-Louis. Ce que voyant, la gauche et la droite de l’armée anglaise s’unirent au centre pour achever la défaite des Français. Alors on vit des prodiges accomplis par les miliciens, que commandaient Jean Vaucourt, et qui unissaient la gauche au centre. Montcalm était un peu à l’arrière des lignes, où il essayait d’empêcher la retraite sur la ville et en même temps de reformer des bataillons de réguliers et de miliciens. Il y avait un tel désordre dans le centre de l’armée française, que les grenadiers de Louisbourg et les Highlanders, commandés par Murray, se ruèrent en une suprême attaque pour y semer la panique. Mais Jean Vaucourt survenait à ce moment-là avec ses miliciens qui n’avaient pas encore beaucoup souffert du feu ennemi.

Les grenadiers anglais et les Highlanders arrivaient comme une trombe en jetant des cris de victoire.

— Canadiens, cria Jean Vaucourt, il ne faut pas qu’ils passent.

Un rugissement s’éleva, et les Canadiens s’apprêtèrent à prendre l’élan pour se heurter contre les Anglais.

À cette minute une voix énergique s’éleva au-dessus des bruits du combat :

— Capitaine, dit la voix, ils ne passeront pas.

Surpris, le capitaine Vaucourt aperçut près de lui le vicomte de Loys à la tête de ses cent cinquante hommes. Sa marche avait été retardée par les fuyards, et il arrivait juste au moment où les Anglais allaient donner le coup de mort. Et Vaucourt n’avait pas donné l’ordre à ses miliciens de se jeter contre les grenadiers, que de Loys et ses hommes se ruaient tête baissée contre les Highlanders.

Vaucourt demeurait stupéfait.

— Non, ventre-de-cochon ! ils ne passeront pas ! hurla une voix de tonnerre.

Biche-de-bois ! nous sommes là ! dit encore une autre voix.

Et Vaucourt et ses miliciens virent Pertuluis et Regaudin ensanglantés, déchirés, noirs de poudre, se jeter, la rapière au poing, contre les grenadiers de Louisbourg qui arrivaient.

— Holà ! grenadiers du roi ! vociféra encore Pertuluis, mangez-moi cette racaille de grenadiers anglais !

On entendit l’éclat de rire de Regaudin. Il riait parce que, devant eux, se massaient six cents grenadiers anglais, et qu’ils n’étaient, eux, que deux grenadiers du roi de France !

— Taille en pièces ! rugit Pertuluis.

— Pourfends et tue ! hurla Regaudin.

Le choc fut homérique…

Mais Vaucourt aussitôt lançait ses miliciens à la rescousse.

Il serait difficile de décrire le corps-à-corps qui s’en suivit. Une chose, c’est que, au bout de cinq minutes d’un carnage inouï, Vaucourt, de Loys et les deux grenadiers, appuyés par les miliciens et les soldats de la Porte Saint-Louis, réussirent à culbuter en bas des Buttes-à-Neveu les grenadiers de Louisbourg et les Highlanders.

À cet instant, il eut été facile de gagner une victoire qui échappait depuis longtemps à l’armée française, si seulement Montcalm avait pu réussir à reformer quelques régiments. Mais le général français venait d’être atteint d’une balle, ses principaux officiers étaient morts ou blessés, et ses ordres se confondaient avec les bruits de la guerre. On voyait de toutes parts des soldats réguliers et des miliciens gagner la ville dans une course éperdue ; d’autres, aveuglés par la fumée des fusils, égarés sur ce champ de bataille qu’ils ne reconnaissaient plus, couraient çà et là, butaient contre des cadavres, des blessés, se relevaient, bondissaient, se heurtaient à d’autres camarades non moins éperdus, puis finissaient par trouver les pentes raides qui, descendaient en arrière des faubourgs et vers la rivière Saint-Charles. Et de tous côtés s’élevaient des appels, des cris stridents, des vociférations que dominaient de temps à autre des décharges de mousqueterie.

Vaucourt et de Loys allaient sauter en bas des buttes et poursuivre les grenadiers, lorsque Townshend vit le danger. À la hâte il lança un corps de fusiliers royaux pour prendre les miliciens en queue. Vaucourt comprit qu’il s’était aventuré déjà trop avant, et que c’était folie de poursuivre la tâche si bien commencée ; il voyait que toute l’armée française était dans la plus grande confusion et plus de la moitié en retraite vers la ville et vers la rivière Saint-Charles. Pour ne pas envoyer ses hommes à une boucherie inutile, il donna l’ordre de la retraite. À cet Instant, de Loys tombait tout meurtri de coups.

Jean Vaucourt le désigna à ses miliciens.

— Au vicomte ! ordonna-t-il.

Mais déjà Pertuluis et Regaudin s’élançaient vers de Loys, le relevaient et l’emportaient à l’arrière.

Jean Vaucourt et ses miliciens se retirèrent en se battant comme des lions contre les fusiliers royaux qui, à la fin, abandonnèrent l’action.

Vaucourt, blessé, déchiré, arriva près de Montcalm qui, finalement, se décidait à abandonner la partie. Vaucourt le vit pâle et chancelant sur sa monture qu’il n’avait pas quittée.

— Vous êtes blessé, général ! dit-il avec émoi.

Montcalm sourit. Mais ce sourire était si triste qu’il serra le cœur du jeune capitaine.

— Holà ! cria-t-il à ses hommes, au général, il est blessé !

Des miliciens s’élancèrent vers le général. Mais ils furent devancés par les deux grena-