Page:Féron - Les cachots d'Haldimand, 1926.djvu/37

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— Oui… je n’avais qu’un signe à faire à mes soldats… le lion et le lionceau tombaient foudroyés !

— Mon cher Foxham, c’eût été de la mauvaise politique, entre nous, vous savez ?…

— Je comprends. Mais, je me réserve un droit… à plus tard ! répliqua Foxham avec un sourire cruel et mystérieux.

— Je vous comprends également, dit Buxton : après le père…

— Mais bah ! fit Foxham avec négligence, les juges sauront peut-être me venger mieux que je ne le pourrais faire. Néanmoins, j’ai une inquiétude…

— À quel sujet ?

— Au sujet de Du Calvet. Je redoute une chose : qu’il ne réussisse à nous glisser entre les mains, c’est-à-dire que ses amis ne lui ouvrent les portes de son cabanon et ne le fassent évader.

— Quoi donc peut vous inspirer une pareille crainte ?

— Il s’est passé un événement mystérieux, dans la nuit de samedi, sur « Le Requin ».

— Le brick en lequel Du Calvet est prisonnier ?

— Oui.

— Que s’est-il passé ?

— Dans la matinée de dimanche on s’est aperçu de la disparition d’un marin ; ce marin, au cours de la nuit précédente, remplissait les fonctions de veilleur. Il est vrai de dire qu’un officier, la même nuit, en montant à bord, avait constaté l’absence du factionnaire, et il avait pensé que le pauvre diable était allé se coucher dans son hamac. Mais le lendemain l’homme demeura introuvable.

— Il demeura introuvable, dites-vous ? fit le colonel avec surprise.

— On a fouillé vainement tout le navire. Mais peu après le commandant Fordwell a conclu que cet homme avait été assassiné, puis jeté par-dessus bord.

— Ho ! ho ! comment a-t-il pu conclure ainsi ?

— Près de l’écoutille, sur le pont supérieur, on a découvert une large mare de sang qui avait été piétinée, ce qui indiquait qu’une lutte quelconque avait eu lieu à l’endroit même entre deux hommes.

— Ce factionnaire n’aurait-il pas été tué par un de ses camarades avec qui il se serait pris de querelle ?

— C’est l’hypothèse que fit Fordwell d’abord. Mais après enquête, il se convainquit du contraire.

— Mais alors ?…

— Alors, il a supposé qu’un étranger était monté à bord. On a remarqué des empreintes de doigts sanglants sur l’appui du parapet.

— Ces empreintes auraient pu être faites par le factionnaire !

— C’est possible ; mais tout porte à croire que ce factionnaire, après avoir perdu tant de sang, était inanimé et peut-être déjà cadavre quand il fut jeté à l’eau. Il n’est donc plus resté qu’une hypothèse d’admissible : celle d’un inconnu qui serait venu à bord dans la nuit de samedi à dimanche. Puis cet inconnu aurait été surpris par le veilleur, une lutte aurait suivi et avec le résultat que nous supposons.

— Je me demande, dit le colonel en réfléchissant, quelle affaire cet inconnu pouvait avoir à bord. N’y avait-il sur le navire personne autre que le factionnaire ?

— Si… les deux cuisiniers, qui n’ont eu connaissance de rien.

— Que déduisez-vous de tout cela ?

— Qu’une personne, ou que des personnes inconnues cherchent à délivrer Du Calvet !

— Oh ! si cela était, il s’agirait de prendre des précautions immédiates !

— Voilà pourquoi j’ai désiré vous voir. Si vous vouliez suivre mon avis, le commandant Fordwell aurait ordre de tenir deux sentinelles en permanence devant la porte de Du Calvet.

— Certainement, le commandant recevra cet ordre aujourd’hui même.

— Et pourtant, reprit Foxham, j’aurais mieux que cela !

— Voyons !

— S’il est vrai (naturellement c’est une supposition que je fais) que la prison de Du Calvet est connue, il importerait de le transférer dans une autre prison, mais en grand mystère, en pleine nuit, et avec toutes les précautions utiles pour que cette fois on ne puisse avoir la moindre idée de l’endroit de sa réclusion.

— Vous avez raison.

— J’ai mieux que cela encore.

— Allons, Foxham, vous m’intéressez beaucoup !

— Faites-moi confier par le général la surveillance du prisonnier !

— Vraiment ? Mais où le garderiez-vous ?

— Ici, sourit le lieutenant. Nous avons ici, juste sous nos pieds, deux excellents cachots auxquels on arrive… Tenez ! venez voir de vos yeux…

Foxham se leva et conduisit le colonel Buxton dans une petite pièce voisine aménagée en chambre à coucher.