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— Oh ! mon cher, il ne faut pas trop s’y fier. Tout dépend de l’humeur du moment. Pour tirer de Margaret un renseignement précieux, il importe de choisir l’heure, autrement on s’expose à ne rien apprendre.

— Et à se compromettre aussi, peut-être ?

— Du moins à compromettre nos projets. Mais Margaret est excessivement naïve et pas défiante pour un sou, c’est l’avantage qu’elle m’offre. Elle ne pourrait s’imaginer que j’aie aucun intérêt à travailler à la délivrance de monsieur Du Calvet, de sorte qu’elle n’ira jamais se vanter qu’elle m’a fourni tel ou tel renseignement. Ensuite, tout comme Foxham, elle te croit bel et bien toujours en ton donjon.

— C’est mieux ainsi. Mais je crains bien que Foxham ne commence à avoir des doutes sur la petite comédie que nous jouons, Pierre et moi.

— Cette comédie pourrait tourner en tragédie… J’ai peur, Hector !

— De quoi, Louise ? que je sois tué ?

— Oui.

— Bah ! je vous ai dit que je vivrais cent ans !

— Ne plaisantez pas, reprocha doucement la jeune fille. N’avez-vous pas failli la perdre cette vie, il y a à peine deux heures ? oui, cette vie sur laquelle peut-être vous comptez trop ?

— Oui, mais vous constatez que je ne l’ai pas perdue ! Eh bien ! Louise, c’est ce qui prouve que je vivrai cent ans, car jamais la mort ne m’a frôlé de si près que cette nuit ! Elle me guettait de tous côtés, elle me tenait pour ainsi dire, et cependant je lui ai échappé. Comprenez que si j’avais à mourir à l’âge où je suis, je serais mort à cette heure, et il ne vous resterait plus qu’à laisser pleurer ces beaux yeux qui me regardent avec un doux reproche.

Et le jeune homme, prit une main de Louise et la baisa avec ardeur. Puis il reprit en se levant tout à fait :

— Il ne faut pas trop se laisser aller aux sentiments du cœur, ma chère amie, car nous sommes en pleine lutte, en pleine bataille. À plus tard l’amour, le doux amour !… Et j’oublie ce brave Pierre qui doit être diablement inquiet de ne pas me voir revenir. Quelle heure est-il, Louise ?

— Trois heures et demie, Hector.

— Trois heures et demie ! répéta le jeune homme en tressaillant. J’avais dit à Pierre que je serais de retour vers une heure. En ce cas je cours à mon donjon.

— Vous n’y pensez pas ! s’écria Louise avec effroi. Vous êtes blessé… vous êtes à peine remis… vous grelottez… vous grelottez… vous chancelez !

Oui, le jeune homme paraissait avoir peine à se tenir sur ses jambes.

— Bah ! dit-il négligemment, c’est une faiblesse passagère. Tenez ! je me remets déjà… j’ai eu un étourdissement, cela m’arrive des fois. Bonne nuit, Louise ! N’oubliez pas de vous enquérir du cachot de Du Calvet !

— Vous partez ?

— Oui, oui… n’oubliez pas !

Elle le conduisit jusqu’à la porte où ils échangèrent un baiser.

Peu après Saint-Vallier se dirigeait à grands pas vers la Place des Jésuites.

Avant d’atteindre la Place, Saint-Vallier enfila à sa droite un passage tortueux. Puis il se glissa entre deux hangars, franchit une palissade démolie à plusieurs endroits et se trouva bientôt derrière le bâtiment qui servait de casernes.

L’endroit était excessivement obscur et il était difficile de se diriger avec précision vers un point déterminé. Pourtant Saint-Vallier marchait d’un pas assuré, au travers de piles de bois de chauffage et d’amas de pierres, et atteignit l’angle nord-est du bâtiment. La toiture, à cet angle, avait été, lors du siège de 1759, trouée par les boulets des canons, et une partie du mur de l’aile est s’était effondrée entre le toit et le deuxième étage. Cet effondrement avait occasionné dans le mur une crevasse d’une largeur variant entre quarante et soixante centimètres, et suivant une ligne oblique à partir du deuxième étage, sous la partie effondrée, jusqu’aux fondations. Mais la crevasse, à ce point, n’avait pas dix centimètres de largeur. Saint-Vallier tourna l’angle de l’édifice et marcha vers la crevasse. Là, à l’aide des pieds et des mains il se hissa à une hauteur d’environ deux mètres, où la crevasse s’ouvrait suffisamment pour permettre à un homme de taille ordinaire de passer. À cette hauteur, Saint-Vallier se trouvait entre le plancher inférieur et le plancher supérieur du rez-de-chaussée. Il sauta sur le plancher inférieur, traversa des débris de matériaux quelconques et se dirigea, à tâtons cette fois, vers l’angle nord-est où il trouva un escalier. Il monta au deuxième étage, traversa une pièce tout encombrée des débris de la toiture défoncée, puis arriva à un corridor longitudinal. De chaque côté de ce corridor s’alignaient des chambres, et ce corridor aboutissait à une vaste pièce occupant l’angle sud-est de l’édifice, et au-dessus de cette pièce se trouvait