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LES TROIS GRENADIERS

corte, et tout soit prêt dans une demi-heure ! Moi, pendant ce temps, je vais conférer avec le capitaine Vaucourt.

Les deux grenadiers se rendirent à l’ordre immédiatement, et vers les six heures et demie, par un froid qui atteignait trente degrés sons zéro, une caravane, en tête de laquelle chevauchaient les trois grenadiers, quittait le fort et prenait la direction de Batiscan.


IV

AUX TROIS RIVIÈRES.


Deux jours plus tard, la caravane conduite par Flambard à Batiscan rentrait au fort avec ses traîneaux chargés de farine, de lard, poissons et toutes espèces d’autres provisions, ainsi que des outils de toutes sortes, et l’un des officiers de l’escorte remettait à Jean Vaucourt la missive suivante :


« Mon cher capitaine, nous avons découvert un vrai trésor. Malheureusement, nous n’avons pu mettre la main sur ce capitaine Chester ni sur aucun de ses gens. Il n’y a pas de doute que notre présence ici aura été signalée à ces messieurs les Anglais qui n’ont eu garde de se montrer le nez. Je me rends donc à Montréal par les Trois-Rivières où je laisserai en passant, Pertuluis et Regaudin pour y remplir une mission particulière.

Écrit à Batiscan, ce 13 décembre.

Flambard ».


Quel était le but de la visite de Flambard à Montréal ? se demandait Vaucourt avec curiosité, et aussi cette mission dont il avait chargé Pertuluis et Regaudin ?

Nous saurons plus tard pourquoi Flambard s’était rendu à Montréal. Pour le moment nous allons nous attacher aux pas, faits et gestes de nos deux bravi que nous retrouvons, le 14 au soir, à l’Auberge de France où ils viennent d’arriver à demi gelés.

L’aubergiste s’était empressé d’accourir avec force salutations.

— Maître aubergiste, avait dit Pertuluis sur un ton haut et important, vous avez l’honneur de recevoir le Chevalier de Pertuluis, présentement parlant, et son digne écuyer, le sieur de Regaudin. Vous leur accorderez donc la miche et la couchée pour eux-mêmes, et la litière et le picotin pour leurs montures qui dehors attendent les empressements de votre maître d’écurie !

— Messeigneurs, s’était écrié l’aubergiste ployé en deux, il sera fait ainsi que vous le commandez et désirez. Je cours donner les ordres…

La salle commune de l’auberge était remplie de citadins et de soldats de la garnison qui, assis à des tables, buvaient et parlaient avec animation. Plusieurs fumaient dans des calumets un tabac qui répandait des odeurs âcres. Trois jolies filles faisaient le service. La salle était violemment éclairée par quatre lampes et par les flammes de deux larges foyers placés aux deux extrémités de la salle.

L’entrée des deux grenadiers attira l’attention générale et un moment les conversations se turent. La taille imposante de Pertuluis, son air arrogant, les affreuses balafres de son visage que le froid avait fait tourner au plus violent cramoisi, tout dans la physionomie du colosse parut créer une sorte de malaise qui, heureusement, ne dura pas longtemps. Les deux grenadiers traversèrent la salle la tête haute, la main au pommeau des rapières dont l’extrémité relevait les pans de leurs manteaux gris. L’aubergiste, qui les précédait tout en saluts et sourires mielleux, les conduisit à une cheminée près de laquelle se trouvaient posés une table libre ainsi que deux sièges.

— Messeigneurs, dit alors l’aubergiste avec la plus grande affabilité, vous serez ici tout à fait comme chez vous en attendant que la nappe soit mise dans la cuisine où je vais faire dresser une table pour vos excellences.

— Merci, mon ami, dit Regaudin. Je suis content de constater qu’on ne nous a point dupés en nous indiquant votre établissement comme étant le meilleur de la cité.

— Et de la Nouvelle-France, Messeigneurs, croyez-le bien !

— Nous vous croyons, maître aubergiste, dit Pertuluis à son tour et en enlevant son casque de loutre. Mais nous vous croirons mieux lorsque vous nous aurez servi deux carafons chacun d’eau-de-vie, ainsi qu’un carafon d’eau chaude et un pot de sucre.

— Très bien, messeigneurs, je vois que vous désirez vous réchauffer les sangs. Ah !