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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/109

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Ils se séparèrent avec de grands saluts.

Au moment où Guezevern et Saint-Venant s’asseyaient à une table pour vider un flacon, Saint-Venant montra du doigt M. le baron qui s’éloignait, emportant sous son bras l’ingrate et toujours riante Chantereine.

« C’est une rencontre bien singulière, » dit-il.

Maître Pol fît d’abord la grimace en voyant Chantereine au bras de son adversaire vainqueur, puis il demanda :

« Quelle rencontre ? et pourquoi singulière ? »

Saint-Venant fit semblant de rougir et fut du temps à répondre.

« Quelle rencontre ? » répéta maître Pol en frappant du pied.

Car Dieu sait qu’en ce moment il n’aurait point fallu lui échauffer les oreilles.

« J’ai eu tort, murmura Saint-Venant, je n’aurais point dû vous parler de cela.

— Mort de moi ! compère, dites vite ou je me fâche.

— Mon digne ami, répliqua Renaud avec fermeté, vous avez la joue écarlate et l’œil brûlant. Je donnerais beaucoup pour vous voir en votre lit. C’est une méchante soirée que nous avons eue ici. Je consens à parler, si vous consentez à regagner l’hôtel de Mercœur tout doucement, en longeant le bord de l’eau pour rafraîchir votre sang.

— En route, donc ! » ordonna Guezevern, qui laissa son verre plein.

Saint-Venant le suivit aussitôt, mais avant de franchir le seuil, il trouva moyen d’envoyer de loin un signe à M. le baron de Gondrin, qui faisait rire la Chantereine à gorge déployée.

Marion la Perchepré, qui voyait tout, les vit sortir et demanda :

« À quelle sauce ce petit Judas de Renaud va-t-il accommoder le bel intendant de M. de Vendôme ?

Nos deux compagnons descendirent la rue Saint-Avoye, tournèrent l’hôtel-de-ville et prirent le bord de l’eau. Ils allaient tous deux en silence.

Vers le coin de la rue Planche-Mibray, Guezevern s’arrêta tout à coup pour demander :

« Qui est ce gentilhomme ?

— Son nom va bien vous étonner, mon digne ami, répliqua doucement Renaud. Voilà pourquoi il m’est échappé tout à l’heure de dire : c’est une singulière rencontre… et voilà pourquoi aussi je désirais tant vous voir dehors.

— Voyons ce pourquoi, fit Guezevern, intrigué au plus haut point. Est-ce que je le connais ?

— Vous devez le connaître, assurément, de nom. Vous êtes liés par une parenté commune, et pourtant, que je sache, vous n’êtes point amis.

— Foi de Dieu, s’écria maître Pol, expliquez-vous, à la fin ! Vous me tenez là sur le gril !