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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/127

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et au lieu de signer « Éliane » j’ai signé « Pol de Guezevern, » comme j’avais coutume de le faire au bureau de ton intendance.

« C’était un blanc-seing. Je l’avais préparé avant de partir, au château de Vendôme. Sur mon salut, je ne m’en serais point servie au château de Pardaillan, si je n’eusse appris là que j’avais droit avant toi, droit avant tous.

« C’est la loi de Dieu que la fille hérite de son père.

« Et pourtant, je suis triste parce que, en mourant, mon père a cru que mon mari avait signé.

« Cela peut-il s’appeler une fraude ?

« Mon mari, demain, un peu après la tombée de la nuit, je serai près de vous. Vous êtes l’honneur même, la noblesse et la loyauté. Si j’ai mal fait, vous me blâmerez et nous réparerons ma faute en rendant à M. le baron de Gondrin la moitié de mon patrimoine légitime. »


Renaud de Saint-Venant baisa encore le papier à l’endroit où Éliane avait écrit son nom.

Ce fut avec une sorte de respect.

« Y a-t-il donc encore des gens faits comme cela ? murmura-t-il, et une conscience peut-elle être troublée pour si peu ? Mort diable ! je connais plus d’une sainte qui n’aurait point ces scrupules. »

Il regarda au dehors et ajouta :

« Voici la nuit tout à fait tombée. Elle peut arriver d’un instant à l’autre. Sauf réflexions ultérieures et meilleur avis, voici, je crois, la manière de procéder, pour hériter le plus possible de mon digne ami et compère l’intendant Guezevern : prendre sa femme d’abord, ensuite vendre ses domaines à M. le baron, moyennant moitié partout, plus une jolie somme pour le titre de comte, qui ne se peut point partager… car il serait dangereux de garder tout, en achevant la comédie commencée. Il y a alibi évident. Les témoins abonderaient pour prouver que maître Pol n’était point à Pardaillan, mais bien à Paris, lors des signatures. »

Il se leva brusquement et s’écria :

« En besogne ! Il faut faire disparaître tout ce qui pourrait éveiller dans ce joli petit cœur un soupçon ou une inquiétude. Mme Éliane, en entrant ici, doit se croire dans la chambre nuptiale. Il sera temps de la détromper demain matin ! »

Nous l’avons dit : il y a des poltrons qui agissent en hommes hardis. Quand le danger n’est pas actuel et représenté par une menace physique, ceux-là vont de l’avant aussi bien et mieux que les intrépides.

Renaud de Saint-Venant n’avait certes pas prévu avec exactitude tout ce qui se produisait autour de lui. Il avait semé le mal au hasard, et la récolte dépassait de beaucoup son espérance. Moissonneur de nuit, il ne craignait plus de se trouver en présence du maître,