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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/132

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jesté le roi Louis XIII avait dit : « Il a de beaux yeux. »

— Un pain ! un pain et une chandelle ! »

Personne n’ignore ceci : quand un malheureux noyé s’en va au fil de l’eau, le mieux est d’avoir un pain rond qu’on perce à son milieu pour y ficher une chandelle ou un cierge. Le pain rond doit être ainsi livré au courant, après que la chandelle a été allumée, et par l’intercession de saint Antoine de Padoue, il va s’arrêter juste à l’endroit où est l’homme, vivant ou mort.

Le pain secourable fut trouvé et le cierge allumé. On vit bientôt une lueur, semblable à un feu follet, qui descendait le cours de la Seine.

Mme Éliane la suivit des yeux bien longtemps, cette lueur.

Et elle pensait :

« Bon saint Antoine, ayez pitié du pauvre gentilhomme ! »

Mais la lueur disparut au tournant du fleuve, vers la butte Chaillot, et Mme Éliane, le cœur serré mortellement, reprit le chemin de l’hôtel de Mercœur.

Elle avait beau se dire : Je ne connaissais pas ce gentilhomme ! Elle avait beau ajouter en elle-même : Je vais embrasser mon mari bien-aimé, à qui j’apporte noblesse et fortune, un poids écrasant restait sur sa poitrine.

Dix heures de nuit sonnaient quand elle passa le seuil de l’hôtel.

Le premier valet qu’elle rencontra lui apprit que M. de Guezevern, intendant de Vendôme, habitait le propre appartement du bon écuyer Renaud de Saint-Venant.

Cette nouvelle ne diminua point le poids qui lui chargeait le cœur.

Elle demanda si maître Pol était dans sa retraite ; on lui répondit que les fenêtres de M. l’intendant étaient éclairées.

Mme Éliane, nous le savons, était une personne de haute résolution et de grand courage. Elle secoua la préoccupation triste qui la navrait, et donna l’ordre à ses serviteurs de porter chez maître Pol les valises qu’ils avaient en croupe. Ces valises semblaient être lourdes.

En revenant, les serviteurs dirent à Mme Éliane que M. l’intendant était seul dans son appartement, et qu’il reposait étendu sur son lit. Elle les congédia et entra.

« J’espère, dit-elle à peine entrée, que vous ne vous trouvez point malade, Pol, mon cher mari ?

Il lui fut répondu :

« Non. »

Sans prendre le temps d’ôter son chaperon de voyage ni sa mante, Mme Éliane passa derrière les rideaux et donna son beau front au baiser de son époux, il faisait dans l’alcôve une obscurité presque complète. Renaud de Saint-Venant avait placé la lampe de manière à rester lui-même dans l’ombre.