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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/139

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vous connaissiez mieux que moi ce noble, ce généreux cœur. Il ne pouvait se confier à demi. Ses lettres n’étaient point scellées… Et j’ajoute que si la pensée m’est venue… mais comment vous faire comprendre que j’ai puisé dans les paroles mêmes de mon ami mourant, le désir, l’espoir d’être le protecteur de sa veuve et le défenseur de son fils ?

— Je défendrai mon fils, prononça fièrement Éliane, et je n’ai pas besoin d’être protégée. »

En même temps, elle prit les deux lettres écrites par Guezevern et porta celle qui lui était adressée à ses lèvres.

Puis elle lut.

Pendant qu’elle lisait, Renaud de Saint-Venant réfléchissait.

Le danger était passé. Éliane avait jeté son épée.

Et pourtant quelque chose disait à Renaud de Saint-Venant qu’il n’était pas temps encore de relever la tête.

Quand Éliane eut achevé sa lecture, elle demeura pensive si longtemps que Renaud reprit le premier la parole.

« Madame la comtesse, dit-il, ne demanderez-vous point conseil au plus humble, au plus dévoué de vos serviteurs ?

— Dieu m’avait donné un maître, répliqua Éliane d’un ton ferme ; maintenant, je suis seule et ne prendrai conseil que de moi. »

Après un silence, elle ajouta, en laissant tomber sur Renaud son regard froid et résolu.

« Combien d’argent M. le baron de Gondrin-Montespan vous a-t-il promis pour ce que vous avez fait ?

— Madame, balbutia Renaud, je vous jure… »

Elle lui ferma la bouche d’un geste méprisant, et approcha de ses lèvres le sifflet d’ivoire qui pendait à sa ceinture et qui lui servait là-bas, quand elle menait l’intendance de Vendôme, à appeler ses serviteurs.

Mais le sifflet resta muet et elle murmura.

« Personne ne viendrait. Ici, je suis seule !

— Vous êtes avec un homme, s’écria Renaud, qui voudrait mourir votre esclave ! Commandez, j’obéirai. »

Jusqu’à présent, Éliane n’avait pas versé une larme. Nous sommes tous portés à juger les autres par nous-même, et Saint-Venant se méprenait peut-être à cette glaciale apparence.

Mais nul homme de cœur ne s’y serait trompé. Il y avait sous cette froideur de statue une mortelle angoisse.

« Quoi que vous ait promis M. le baron de Gondrin, dit-elle, je surenchéris, et je vous achète au double de son prix. »

Saint-Venant pâlit, et ses sourcils se froncèrent.

En ce moment, des pas se firent entendre dans le corridor, et maître François Phaidon de Barbedieu, majordome de M. le duc, parut sur le seuil dans le costume de sa charge. Dans la demi-obscurité qui ré-