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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/14

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fixa sur le page ses beaux yeux humides où il n’y avait ni crainte ni défiance.

« Ils m’ont chassée, dit-elle. J’ai bien senti qu’on me jetait dans vos bras. Vous me donnez asile pour aujourd’hui, mais demain ?…

— Mort de moi ! s’écria maître Pol, qui fit la grosse voix, pour cacher son émotion, à chaque jour sa peine !

— Pourquoi jurer ? demanda Éliane d’un ton de reproche. C’est mal.

— Je ne jurerai plus, si vous n’aimez pas qu’on jure, répondit le page. Comment faut-il vous appeler, demoiselle ? et pourquoi ces bandits vous ont-ils chassée ? »

Éliane dit son nom et ajouta :

« Ce ne sont pas des bandits. Ma pauvre mère avait promis de payer notre logis et notre nourriture, depuis trois mois que nous sommes à Paris.

— Et votre mère n’a pas pu ?

— Ma mère est morte. »

Sa tête charmante se renversa sur l’oreiller, et les larmes s’arrondirent comme des perles aux coins de ses paupières.

Maître Pol ne pleurait pas souvent, il eut envie de pleurer :

Il n’osait plus interroger.

« Ma mère est morte depuis une semaine, reprit la petite Éliane : je suis seule, toute seule…

— Non pas, par la mort-Dieu ! l’interrompit le page.

— Oh ! fit-elle, ne jurez pas : c’est offenser le Seigneur. »

Maître Pol se donna un coup de poing au travers du front. Elle poursuivit :

« Je n’avais que ma mère. Depuis longtemps déjà, elle me disait bien souvent : il faut que tu saches. Si je m’en allais avant de t’apprendre qui tu es et ce que tu dois faire, quand je ne serai plus là… puis elle pleurait, et ajoutait : Demain, tu sauras tout, j’y suis déterminée. Le lendemain venait. Peut-être que ma mère avait à me confier un pénible et douloureux secret. La mort l’a surprise avant qu’elle ait eu le courage de parler.

— Quoi ! s’écria le page, vous ne savez rien !

— Je sais que ma mère ne portait point le nom de mon père. Elle me l’a dit cent fois, en retenant ce nom qui allait tomber de ses lèvres, je sais qu’elle sollicitait les juges et suivait un grand procès. Hélas ! et je sais que je suis seule, toute seule ! »

Elle mit ses belles petites mains sur ses yeux, et un sanglot souleva sa poitrine.

« Nous étions bien pauvres, continua-t-elle d’une voix qui allait faiblissant. Ma mère vendait parfois une robe, parfois un bijou… Elle eut un soir beaucoup d’argent d’un beau collier de diamants et de perles. Elle envoya l’argent je ne sais où, et quand l’hôtelier vint demander son dû, elle répondit : je n’ai plus rien ; mais, dès que mon procès va être gagné, je vous paye-