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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/154

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tué pour cent cinq mille livres tournois, à l’heure même où sa femme bien-aimée lui apportait des millions.

Il n’y avait au monde que deux personnes à connaître la fin malheureuse et prématurée de maître Pol.

Par une nuit sombre, les domestiques du château de Pardaillan furent éveillés. Leurs nouveaux maîtres arrivaient sans avoir été annoncés. Tous les officiers et serviteurs de la maison se rangèrent en haie dans la cour d’honneur, mais ils ne purent saluer que Mme la comtesse.

Le comte, soutenu par deux écuyers inconnus, enveloppé dans un vaste manteau, sous lequel il tremblait la fièvre, et le visage caché derrière les bords rabattus d’un large feutre, gagna tout de suite sa chambre à coucher par les petits escaliers.

La comtesse reçut avec bonté les félicitations de ses vassaux, mais ne leur fit que de laconiques réponses.

Chacun put remarquer l’abattement qui était sur ses traits et son air de profonde tristesse.

« Mes amis, dit-elle, vous avez un bon seigneur, mais il n’y aura point ici de réjouissances. M. le comte de Pardaillan, mon époux, est en proie à une terrible et funeste maladie.

— Quelle maladie ? » se demandèrent les gens du château quand elle eût monté le grand escalier pour rejoindre son mari.

Il devait se passer du temps avant qu’aucun d’eux pût répondre à cette question.

L’enfant blond, le hardi chérubin que nous vîmes naguère à l’intendance de Vendôme, ayant été livré aux femmes qui devaient prendre soin de lui, fut interrogé adroitement, car une ardente curiosité couvait déjà dans la maison.

Il répliqua seulement :

« Monsieur mon père est bien malade. »

Les officiers attachés spécialement à la personne du comte s’étant présentés pour accomplir leurs devoirs furent éloignés dès ce premier soir par la comtesse elle-même, qui dit :

« Jusqu’à nouvel ordre, le seuil de la chambre de mon mari est une barrière que nul ne doit franchir. Depuis sa maladie il ne veut voir que moi, et le médecin de madame la reine-mère a déclaré qu’il fallait obéir scrupuleusement à son caprice, sous peine de mettre sa vie en danger. »

On se coucha tard, cette nuit, au château de Pardaillan, et Dieu sait les abondants bavardages qui furent accumulés au sujet de l’étrange maladie de M. le comte.

Pendant que ce pauvre seigneur gagnait ses appartements, soutenu par deux écuyers étrangers que nul ne revit le lendemain, deux autres serviteurs également inconnus portaient derrière lui une boîte de forme oblongue.