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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/52

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ble, à la fois ivre et fou de douleur. Il maudissait en termes incohérents son frère qui prenait toute la santé de la famille, quoiqu’il ne fût que le cadet, M. de Richelieu qui l’empêchait d’aller brouter le vert en Bretagne, le vin, le pâté, Guezevern et l’univers entier.

Mais par une de ces bizarreries qui sont propres à l’ivresse, les dernières paroles du grand prieur revenaient de temps en temps à la traverse de ses litanies folles, et il se mettait à répéter gravement :

« Prenez un intendant honnête homme.

— Ventre-saint-gris ! s’écriait-t-il ensuite, qu’est-ce que cela fera à ma colique ? »

Il ne s’endormit pas, mais il finit par rester immobile et muet, plutôt anéanti que sommeillant. Ce fut à ce moment que maître Pol rentra à l’hôtel après sa visite chez Mathieu Barnabi, le drogueur de la reine mère.

Sous le vestibule, on accueillit maître Pol par une grande acclamation. Il était le roi des brelandiers et le jeu languissant allait reprendre vie.

« Que fais-tu, Guezevern, que fais-tu ? lui demanda-t-on de toutes parts, les pages, les écuyers, les domestiques. Combien de pistoles as-tu en poche ? Si tu rentres si tard, c’est que quelque bonne dame a rempli ton boursicot. »

Car c’était un singulier temps que ce siècle, empoisonné par l’invasion italienne. Si l’amour allait, s’égarant et faisant entre les sexes de miraculeuses méprises, la galanterie changeait volontiers de costume. Les petits cadeaux venaient des dames.

Il ne faut pas dire tout à fait que ce soit chez nous chose inconnue, mais on peut affirmer du moins que cet abâtardissement du sexe le plus fort est parqué dans certaines classes, fatalement suspectes, et au sein desquelles on ne choisit ni les présidents de cours impériales ni les généraux d’armées.

Quelque comédien trop blond, quelque pharisien trop tendre, quelque neveu de Bellone…, mais ces courtisanes barbues sont la risée de leurs égaux. L’homme se respecte, en thèse générale, et les repoussantes exceptions qui étonnent périodiquement la curiosité publique ne font que confirmer la règle.

En ce temps-là, l’homme ne se respectait pas toujours et riait volontiers de ce dont il ne faut jamais rire. L’honneur, qui mettait si aisément tant de flamberges au vent, était une chose mal définie. L’histoire de ces siècles, j’entends l’histoire grave, est pleine de singularités si imprévues qu’on se demande si la notion d’honnêteté était morte.

Vingt ans plus tard, la veuve de Louis XIII, Anne d’Autriche, répondant à certaines insinuations que les assiduités de Mazarin, auprès d’elle, provoquaient, laissa échapper ces invraisemblables paroles, rapportées par le bonhomme Anquetil :

« Y songez-vous ? Je suis une femme, et il vient d’Italie ! »