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Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/61

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— Ce sera moi, monsieur de Guezevern. »

Elle était si jolie en disant cela, que maître Pol se mit à l’admirer de tout cœur.

« Ce sera moi, répéta-t-elle. Je compte très-bien. Et souvenez-vous de ceci, monsieur de Guezevern : je ne vous apporte point de dot ; mais c’est moi qui ferai votre fortune. »,

En ce moment le pas lourd de la béguine sonna sur le carreau de l’antichambre.

Éliane reprit sans se troubler :

« Et quand j’aurai fait votre fortune, vous jetterez la plume pour reprendre l’épée. Je le veux. »

Maître Pol avait un peu de rouge au front.

« C’est que… c’est que, dit-il encore, je sais lire un petit peu et même assez couramment, mais pour l’écriture…

— Je vous apprendrai à écrire, monsieur de Guezevern.

— Oh ! le gentil maître que j’aurai ! s’écria le page, mais, en attendant que j’aie appris les registres chômeront.

— Jésus Dieu ! fit Éliane avec impatience, ne voilà-t-il pas un grand embarras ! je tiendrai les registres à votre place ; je griffonnerai pour vous, et s’il le faut, je signerai pour vous. »

Maître Pol l’enleva dans ses bras.

« Mort de moi, s’écria-t-il en la mangeant de baisers, à part l’écriture, vous verrez que je ne suis point manchot, madame de Guezevern ! Que parlez-vous de dot ? J’épouse une fée, tout uniment, et quand viendra l’héritage de monsieur mon oncle, le comte de Pardaillan, nous serons peut-être assez riches pour le donner aux pauvres.

— Et vous ne jurerez plus, stipula Éliane.

— Oh ! quant à cela, jamais ! »

Notre impartialité nous force d’avouer que, sur cette promesse, la petite Éliane rendit a son fiancé un des meilleurs parmi les mille baisers qu’il lui avait prodigués.

Dame Honorée, qu’ils avaient très-bien entendue, choisit ce moment pour entrer.

« Ne vous gênez pas, dit-elle avec un sourire aigre-doux, voici la seconde fois d’aujourd hui, et Dieu sait ce qui en arriverait si l’aventure allait seulement ainsi jusqu’à demain. C’est le baiser d’adieu, mes tourtereaux. Le carrosse attend dans la cour, et, sur l’heure même, vous allez partir, ma mie. »

Il faut être clément. La meilleure femme du monde aimera toujours à faire un coup de théâtre.

Maître Pol fronçait déjà le sourcil.

Éliane alla vers sa protectrice et lui baisa les deux mains.

« Marraine, ma bonne marraine, dit-elle avec cet humide regard de ses grands yeux qui était irrésistible, vous allez être bien heureuse de notre bonheur. Mon