Page:Féval - Les Belles-de-nuit ou les Anges de la famille, tome 1, 1850.djvu/196

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dans la baie terrible, ou du blé noir arrosé de leurs sueurs ; des paysans comme vous en avez tous vu, sauf que les visages étaient ici énergiquement marqués de cette empreinte mélancolique et à la fois vaillante, particulière à la race bretonne.

Les hommes, avec leurs longs cheveux incultes, les femmes, avec leurs coiffes blanches où se jouait le vent du large, regardaient de tous leurs yeux un spectacle qui ne ressemblait à rien de ce qu’on avait vu de mémoire d’homme, depuis Saint-Pol jusqu’à Douarnenez.

Entre la plage, défendue par d’innombrables brisants, et le soleil qui s’inclinait de plus en plus vers le niveau de la mer, mettant à la crête de chaque vague mille étincelles mouvantes, on apercevait quelque chose d’inconnu et d’inouï : une sorte de monstre, nageant sans rame ni voile au milieu de cette mer flamboyante, et laissant flotter derrière lui comme une énorme chevelure de fumée.

Les gens postés sur les falaises du continent voyaient cela confusément et de trop loin, mais les riverains d’Ouessant, plus rapprochés, pouvaient distinguer, quand le soleil se voilait à demi sous quelque nuage, le corps noir et bas d’un navire, d’un vrai navire courant par le calme avec une vitesse d’enfer.