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ment un brave homme peut-il être le père d’un démon ?…

— Je ne vous comprends pas, bonne mère, interrompit Charlotte, je vous en prie, expliquez-vous.

— Il faut prendre garde, prendre garde, prendre garde ! répéta par trois fois l’aveugle. Je suis punie par où j’ai péché. J’ai été une femme heureuse. Et notre Yanuz chéri était un petit ange avant d’avoir perdu tout son sang par cette blessure horrible… horrible !… tout le sang de son cœur !

Elle se couvrit le visage de ses mains et un sanglot lui secoua la poitrine.

Charlotte n’osait plus interroger. L’accent de l’aveugle était redevenu glacé quand elle reprit après un silence :

— Vous avez un bon cœur, vous maîtresse, mais je ne sais rien. Vous avez fait du bien à ma pauvre Éliane, mais je ne peux rien. Nous disions, mon homme et moi : « Notre petit Yanuz aura des millions… Folie ! noire folie ! Prenez garde ! les apparences mentent. Tout ment. Il n’y a de vrai que le malheur. Adieu.

Elle fit un grand geste désespéré et rentra dans la maison, laissant Mlle d’Aleix frappée de stupeur.

Pour regagner son propre logis, Charlotte n’avait que la ruelle à traverser. Presque en face de la masure, une porte de dégagement s’ouvrait en effet dans le mur des jardins de Sampierre, et c’était par là que Charlotte était venue. Elle mit la clef dans la serrure et entra.

Il faisait clair de lune. L’allée tournante qui menait à la maison se zébrait de lumière et d’ombre. Un seul