Page:Féval - Les Cinq - 1875, volume 2.djvu/194

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pressentiments ? Il s’agit de vous, il ne s’agit que de vous. Je suis prête à aimer ceux que je détestais hier, pourvu qu’il vous aiment. Mais je veux être sûre qu’ils vous aiment… Écoutez-moi, Édouard, reprit-elle avec une tristesse persuasive : dans cette maison, j’ai fait un douloureux, un rude apprentissage. Je me laisserais guider par vous aveuglément dans ces solitudes inconnues du nouveau monde, où vous saviez diriger vos pas, mais ici, à Paris, dans ce coin de Paris où se joue un drame énigmatique et inouï, j’ai un sens qui vous manque, une expérience et des instincts que rien n’a pu vous donner encore. Vous m’avez juré que vous m’aimiez : se confier à celle qu’on aime, à celle qui donnerait sa vie cent fois pour vous épargner une douleur, n’est-ce pas juste ? Parlez, Édouard, je vous en prie !

Il l’avait relevée dans un élan d’ardente confiance, mais comme il se taisait, elle répéta d’une voix pleine de tendresse :

— Moi, il m’eût été impossible de vous rien cacher, et je vous ai tout dit !

— Sur ma parole, s’écria Édouard, je sens que vous avez raison, et après tout, le reste de l’univers n’est rien pour moi en comparaison de vous, Charlotte, mon amour adoré. Croyez bien cela par-dessus toute chose : je n’aime que vous, je ne puis aimer que vous, et je vous aime comme jamais fou n’a idolâtré son rêve. Est-ce que je sais dire ce que je tenterais pour vous ?… Mais voilà : ne me regardez pas ainsi, je vous en prie, vous me feriez perdre le peu de bon sens qui reste dans ma pauvre tête.