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LES CONTES DE NOS PÈRES.

— Elle n’est plus à Nantes, elle est à Rennes ; et la prochaine fois que quelqu’un de messieurs des états donnera bal…

— C’est fête ce soir chez M. le marquis de Poulpry, lieutenant de roi, interrompit Bertrand.

— À merveille ! alors je te provoque formellement, mon frère, et la question sera vidée ce soir… Ah ! monsieur le capitaine, l’amour ne connaît point le droit d’aînesse, et je vous présage une rude défaite.

— Nous verrons ! dit Bertrand moitié riant, moitié piqué au jeu ; j’accepte la bataille.

Quelques heures après, à la nuit tombante, MM. de Saint-Maugon, cachant sous de sombres manteaux leurs galants uniformes, montèrent à cheval dans la cour du château. Six écuyers, à la livrée de Mauguer, et quatre laquais armés les suivirent. C’était, pour le temps, une escorte noble ; mais, cent ans auparavant, il eût fallu cinquante hommes d’armes pour accompagner comme il faut le premier-né de Mauguer.

Les deux frères, impatients de vider leur différend, éperonnèrent vaillamment leurs montures, et laissèrent loin derrière eux écuyers et valets. Tout le long de la route, Roger chanta victoire, et accabla son frère de joyeuses et innocentes fanfaronnades. Celui-ci le laissait dire, sûr qu’il croyait être de triompher dans quelques instants.

On arriva aux portes de Rennes. L’anguleux cailloutage des rues fit feu sous les pieds des chevaux. Après avoir galopé un quart d’heure dans les rues étroites et fangeuses de la basse ville, les deux frères revirent le ciel que leur avaient caché jusqu’alors les toits surplombants des vieux hôtels. Ils étaient sur la place du Palais. À droite, un édifice de noble