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FORCE ET FAIBLESSE.

se bien assurer que ses paroles ne pourraient point être entendues.

— Monsieur de Saint-Maugon, reprit-il brusquement après cet examen et en se tournant vers Roger, — vous aimez ma fille.

Le jeune homme ne put retenir un geste de surprise.

— Vous aimez ma fille, répéta Montméril d’un ton positif et péremptoire. Vous l’aimez depuis six mois, je le sais. J’avais deviné cet amour à Nantes, et si j’avais pu garder quelques doutes, le bal de la nuit dernière me les eût enlevés. Ma fille vous aime-t-elle, monsieur ?

Roger balbutia quelques paroles inintelligibles.

— Elle vous aime. Vous le croyez, au moins.

— Si je pouvais l’espérer !… commença Saint-Maugon avec chaleur.

— Espérez, si cela vous peut être un plaisir, interrompit M. de Montméril ; mais laissez-moi poursuivre. Je ne suis pas venu ici pour entendre des serments d’amour.

Il y avait quelque chose de brutalement forcé dans le ton de cet homme. Sa voix raillait, tandis que son front restait grave, et son regard indécis accompagnait mal la rudesse tranchante de ses paroles. Il jouait un rôle. — C’est pitié de voir la peine que se donne un bon fils de la Bretagne quand, par hasard, il essaye le masque de l’intrigue à son simple et franc visage. Montméril était à la gêne et faisait un pauvre acteur, mais un plus naïf encore eût réussi auprès de Roger, qui éprouvait, en face du père de Reine, cette terreur stupéfiante qui empêche le païen de voir que son idole est un vil morceau de bois.

— Je suis venu pour vous dire, reprit le président, que Reine de Montméril ne peut point être votre femme.