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LES CONTES DE NOS PÈRES.

pule d’oublier le moindre écueil. Aussi, le soir venu, les Anglaises courbaturées regagnent tristement leur hôtel avec un appétit britannique et quelques rides de plus à leurs fades visages.

À Jouvente, la Rance est dix fois plus large que la Seine. Ses rives, dont les pentes régulières semblent ménagées par la main d’un paysagiste habile, se couvrent à perte de vue de parcs magnifiques, de châteaux séculaires, de villas toutes neuves, et de clochers à dentelles. Les îles jetées au milieu du courant forment, dans toute la bonhomie du terme, un délicieux séjour. Bernardin de Saint-Pierre eût volontiers planté sa tente dans l’une de ces microscopiques solitudes, aussi vertes que les tableaux de chevalet qui veulent représenter le paradis terrestre. Son inoffensive misanthropie eût été là fort à l’aise, car, à part les Anglaises dont nous avons parlé, on n’y rencontre que des courlis, des harnaches, et quelques douaniers très-mal vêtus qui sont un peu plus sauvages que les oiseaux de mer.

En face des îles, sur la rive gauche de la Rance, gît un monceau de ruines à demi caché par un bouquet de hauts châtaigniers. C’est l’ancien prieuré de Jouvente, qui, suivant l’opinion commune, a donné son nom au passage. L’opinion commune se trompe ici comme en beaucoup d’autres cas : le passage et le prieuré furent baptisés tous deux par le même parrain, et l’histoire de ce baptême se trouve consignée dans les vénérables lambeaux d’un manuscrit sur parchemin écrit en langue latine, qui forme la partie intéressante de la bibliothèque publique du bon bourg de Langourla (Côtes-du-Nord). L’excellent curé de Langourla, tout en attachant à ce précieux débris l’importance convenable, le communique libéralement, et va même jusqu’à traduire les passages