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LES CONTES DE NOS PÈRES.

n’était point comme ces pères conscrits de Rome qui se drapaient dans leur orgueil, et mouraient fastueusement, assis sur leur chaise d’ivoire. Seul avec sa conscience, il était lui-même, et rien de plus. Le calme sublime de son regard ne cherchait pas l’admiration d’une foule amie ou ennemie. Aussi cette tranquillité sainte du juste en face de la mort mettait à son front une sorte d’auréole qui annonçait le martyre.

Henriette était loin de percer le mystère de cette mort prochaine ; elle ignorait le dessein de son oncle, elle ne savait rien, et pourtant la vue seule du vieillard lui fut comme une révélation de trépas inévitable. Cet homme n’était plus du monde ; il voyait le ciel, tandis que son pied touchait la terre encore ; il s’en allait vers Dieu, impatient d’accomplir un suprême devoir.

Henriette était mère. Elle songea à son fils, et poussa un cri de détresse. Dans cette absence complète de tout autre bruit, ce cri perçant parvint vaguement jusqu’à l’ouïe paralysée du vieillard. Il leva sa lampe, et vit la jeune femme. À cet aspect, ses sourcils se froncèrent.

— J’avais dit à tout le monde de quitter le château ! prononça-t-il avec dureté ; — éloignez-vous, madame !

Henriette fit machinalement quelques pas pour obéir ; mais au même instant la grand’porte extérieure retentit sous un déluge de coups.

— Il n’est plus temps, murmura-t-elle ; au nom de Dieu, mon oncle, donnez un asile à mon enfant !

Le vieillard fit un geste de colère.

— Mes heures sont comptées, dit-il, je ne puis les perdre en discussions vaines… Sortez, madame, fuyez ces lieux, pour vous, pour votre mari, pour votre enfant.