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LE VAL-AUX-FÉES.

— Sainte croix ! murmura Malgagnes, c’est pitié de jeter sa courtoisie à un juif !

Les barons étaient alors dans un somptueux vestibule dont les tentures faisaient grande honte aux pauvres tapisseries de leurs manoirs. Gérard Lesnemellec, seigneur de Lern et du Val, avait amené avec lui son fils unique, Addel, qui était à peine âgé de seize ans. Le jeune homme regardait ces magnificences avec une admiration naïve. Il s’approchait, il louchait le drap d’or, la soie et le velours ; il ne se pouvait point rassasier de voir et de s’émerveiller.

Par hasard, tandis qu’il faisait ainsi le tour du vestibule, Addel souleva les draperies festonnées d’une portière. Curieux comme on est à son âge, il avança vivement la tête, afin de jeter son regard dans la pièce voisine. Mais tout aussitôt une épaisse rougeur colora son front ; il mit ses deux mains sur son cœur, et demeura immobile, dans l’attitude d’une muette contemplation.

Au milieu d’un petit salon tendu à la mode orientale, Addel venait d’apercevoir une jeune fille à peine sortie de l’adolescence. La jeune fille était belle de cette beauté noble, suave, choisie, que Dieu a laissée aux vierges d’Israël, parce qu’il y a toujours un rayon de clémence dans les orages du courroux divin. Elle était demi-couchée sur des coussins amoncelés. Son grand œil noir rêvait sous l’arc hautain d’un sourcil de reine ; un vague sourire venait par intervalle aux lignes pures de sa bouche. De larges boucles, abondantes, noires et lustrées, ruisselaient le long de sa joue pâle. Elle tenait à la main un luth de forme étrangère, dont les cordes, récemment sollicitées, rendaient encore un vague et fugitif murmure.

Au mouvement que fit Addel, la jeune fille se retourna.