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bertins et même de ses amis de Port-Royal, et par-dessus tout, procès de la raison humaine. Et peut-être que dès Clermont le problème de la justice commençait à inquiéter son esprit, ce problème même qu’il se posera plus tard avec angoisse : « J’ai passé longtemps de ma vie en croyant qu’il y avait une justice ; et en cela je ne me trompais pas ; car il y en a, selon que Dieu nous l’a voulu révéler. Mais je ne le prenais pas ainsi, et c’est en quoi je me trompais ; car je croyais que notre justice était essentiellement juste et que j'avais de quoi la connaître et en juger. Mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit qu’enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J’ai vu tous les pays et hommes changeants ».

Ainsi l’enfant respire et s’agrège, par simple respiration, des éléments qui demeureront à la racine de son génie. Mais va-t-il se nourrir simplement de ce qui flotte autour de lui dans l’air ? Oh ! non, ce ne sera pas une libre éduca­tion à la Montaigne que lui réserve son père, homme de méthode et de discipline. Blaise n’a pas neuf ans qu’Étienne Pascal veut le transplanter dans un climat intellectuel plus riche et plus stimulant. Il se démet de sa charge, et tous quatre, le fils, les deux filles et le père, ils viennent à Paris, où celui-ci sait retrouver un milieu de savants qui répond à ses goûts propres et qui doit l’aider plus tard dans son œuvre d’éducateur. Ce petit Blaise, il ne veut pas l’initier sur l’heure aux sciences. Il veut le contenir, le modérer. Il prend soin de lui interdire la connaissance de la géomé­trie, de peur de le détourner du grec et du latin. Mais que faire contre une telle précocité de vocation ? Vous savez cette histoire aux formes de légende et comment le père, débordé par le désobéissant génie, court chez M. Le Pailleur qui était son ami intime, et qui était aussi fort savant. « Lorsqu’il y fut arrivé, raconte Gilberte, il demeura im­mobile comme un homme transporté. Monsieur Le Pailleur voyant cela, et voyant même qu’il versait quelques larmes, fut épouvanté et le pria de ne pas lui céler plus longtemps la cause de son déplaisir. Mon père lui dit : « Je ne pleure pas d’affliction mais de joie. »