Page:FR631136102-Discours pour le tricentenaire de la naissance de Blaise Pascal - A 34544.pdf/123

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pensée française, plus grand encore d’être inachevé. Car les idées y ont une impétuosité que la suite du discours eût sans doute tempérée, et des au-delà qu’elle eût arrêtés et circonscrits, mais dont les lignes hachées, raturées, fulgurantes du manuscrit nous donnent comme la sensation.

Avant d’écrire, Pascal se mettait à genoux. Un écrivain qui fut de sa famille spirituelle, M. Boutroux avant d’écrire sur Pascal lui-même, prend une attitude d’âme analogue. Qui ose parler de lui, si limité que soit son des sein, et quoiqu’il ne s’agisse pas de raconter l’ascension douloureuse de cette âme chrétienne vers l’humilité, ne peut parler de lui comme on parle d’un écrivain ordinaire, l’âme ardente de Pascal restant mêlée à l’histoire intérieure de nos âmes, comme on le disait récemment dans le vallon encore tout plein de son souvenir ?

Il abaisse la raison humaine, non en se jouant comme Montaigne, dont il transforme les arguments en les lui empruntant, changeant la comédie en drame. Et c’est de nous qu’il s’agit, c’est de chacun de nous individuelle ment, dont la destinée est l’enjeu. Il relève l’homme abattu, il redresse le roseau pliant et c’est encore chacun de nous qu’il secoue si fort, et avec tous les moyens de pensée et de sentiment dont il dispose, parce qu’il le veut convaincre ou plutôt persuader, parce qu’il le veut sauver. Ce n’est pas un philosophe, ce n’est pas un écrivain, c’est un apôtre et un directeur impérieux. En fait, il transpose le problème philosophique, il l’intériorise. Il ne fait pas seulement la philosophie du ciel et de la terre, il l’enferme dans l’âme individuelle. De là entre les Cartésiens et lui un désaccord radical ; et c’est pourquoi il dit que se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher. Ceux-ci expliquent le monde comme s’il leur était étranger, et comme s’ils lui étaient eux-mêmes étrangers. Avec Pascal il n’y a pas d’autre problème que le problème de la destinée humaine et des rapports de l’âme à Dieu. Et Dieu lui-même, « ce vrai Dieu, dit-il, n’est pas un Dieu simplement autour des vérités géométriques et de l’ordre des éléments… mais un Dieu qui fait sentir à l’âme qu’il est son unique bien