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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

mandibules crochues, propres à mettre une proie en lambeaux. Leurs serres sont composées de quatre doigts, dont trois toujours diriges en avant et un en arrière. Les ongles sont recourbés, longs et creusés en dessous d’une rigole à bords tranchants, pour mieux s’enfoncer dans les chairs. Leur pose est fière, leur regard dur, leur vol d’une merveilleuse puissance. Ils aiment à tournoyer, à planer presque sans mouvements d’ailes, dans les hautes régions de l’air où notre regard ne peut les suivre. Eux cependant, de cette élévation immense, distinguent tout ce qui s’agite à la surface du sol. Ils explorent chaque ferme du regard, ils inspectent la basse-cour. Qu’une proie apparaisse, et à l’instant l’oiseau de rapine s’abat d’une aile sifflante, plus rapide qu’un plomb qui tombe. Le rapt de la poularde est fait sous les yeux mêmes du fermier, avant que celui-ci soit revenu de sa surprise, tant l’arrivée du ravisseur est soudaine et sa retraite prompte.

Signalons ici les principaux de ces bandits. C’est d’abord l’aigle, heureusement toujours fort rare. C’est un grand oiseau brun, qui mesure un mètre et plus de l’extrémité du bec à l’extrémité de la queue. Ses ailes étendues embrassent une longueur de près de trois mètres. Son œil farouche, abrité par un sourcil très proéminent, brille d’un feu sombre. Le nid de l’aigle se nomme aire. Il est plat et non pas creux comme celui des autres oiseaux. C’est une espèce de solide plancher formé d’un entrelacement de petites perches et recouvert d’un lit de joncs et de bruyères. Il est habituellement placé sur des escarpements inaccessibles, entre deux roches dont la supérieure surplombe et forme couverture. Les œufs, au nombre de deux, plus rarement de trois, sont d’un blanc sali et mouchetés de roux. Les jeunes aiglons sont d’une telle voracité qu’à l’époque de leur éducation l’aire devient un véritable charnier, toujours encombré de lambeaux saignants. Quelque plate-forme de rocher peu éloignée sert aux parents de boucherie, d’atelier de dépècement. Là sont mis en pièces pour les jeunes, lièvres et lapins, perdrix et canards, agneaux et chevreaux, ravis dans les plaines et transportés au vol sur les hautes cimes, demeure favorite de l’aigle.

Émile. — L’aigle est donc bien fort, puisqu’il peut enlever un agneau. Je l’avais entendu dire, sans pouvoir le croire.

Paul. — Rien n’est plus vrai. Il vous enlèverait vous-même s’il vous surprenait seul dans ses montagnes.