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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

du terrier. Des heures durant, s’il le faut, sans le moindre mouvement, sans le plus léger signe d’impatience, la buse tient l’affût ; on la dirait prise de sommeil. Puis soudain, l’oiseau pioche le sol à coups de bec et déchire le gazon de ses fortes pattes. Une taupe éventrée est amenée au jour, un mulot est pris, aussitôt avalé. Or, savez-vous la réputation qu’a value à la buse cette longue pose immobile, qui lui est indispensable pour déjouer la finesse d’ouïe de la taupe et du rongeur ? La réputation d’oiseau stupide, réputation consacrée pour le langage. Nous disons de quelqu’un très borné d’intelligence : Sot comme une buse. Voici revenir le travers d’esprit qui nous porte à honnir les espèces qui nous viennent en aide et à glorifier celles qui vivent à nos dépens. Nous tournons en bêtise les qualités de la buse, qui respecte nos basses-cours et nous délivre des rongeurs ; nous appelons courage, noblesse, magnanimité, la fureur de carnage de l’aigle ravisseur d’agneaux, et du faucon voleur de poulets.

La buse commune est un grand oiseau brun, à gorge blanchâtre. Les plumes du ventre sont ondées de petites lignes alternativement brunes et blanches ; la queue est traversée par neuf ou dix bandes obscures. Le bec est blanchâtre à la base, noir à la pointe. Les yeux et les pieds sont jaunes. Cette espèce construit son nid sur les arbres élevés. Elle le compose de bûchettes entrelacées et en garnit l’intérieur d’un matelas de laine et de crin. La ponte est de trois œufs au plus, blanchâtres et mouchetés de taches irrégulières d’un jaune sale. C’est la buse commune qui s’est particulièrement attiré la réputation d’oiseau stupide, par la paresse de son vol et sa patience à l’affut. Son lieu d’observation est d’habitude une motte élevée. Des observateurs qui font étudiée dans ses manières de vivre portent à seize le nombre de souris qu’elle consomme par jour en moyenne, ce qui fait près de six mille en un an.

Louis. — Voilà un oiseau qui serait précieux au voisinage des habitations, si l’on pouvait l’apprivoiser.

Paul. — Rien n’empêche de le tenter ; la buse est d’un caractère assez accommodant. D’autres observateurs ont étudié ses chasses aux mulots ; ils estiment qu’elle en mange près de quatre mille par an. Jugez d’après ce nombre quelles légions de petits rongeurs une compagnie de buses peut détruire dans un canton. À côté de l’éloge, ne dissimulons pas le