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SUR LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

de freux errer gravement pas à pas dans les sillons, enfonçant d’ici et de là le bec dans la terre ramollie par le dégel, je sais bien que ces oiseaux auraient à faire valoir pour excuse qu’ils cherchent des vers de hannetons. Bien naïf qui accepterait cette excuse : en ce moment de l’année, les vers blancs sont descendus à une trop grande profondeur pour que le bec des freux puisse les atteindre. C’est le blé qui réellement est atteint. Comme les freux vont par troupes extrêmement nombreuses, par vols capables d’obscurcir le ciel, on comprend que de tels moissonneurs aient bientôt fait la récolte. Ce n’est pas tout : en automne, les freux font grande consommation de noix et de châtaignes ; au printemps, ils fouillent les champs de pommes de terre pour extraire les tubercules nouvellement plantés.

Louis. — Ces maraudeurs-là ne pourraient-ils se repaître de bêtes mortes, comme le font la corneille noire et le corbeau ?

Paul. — Jamais le freux ne touche aux bêtes mortes, si pressé qu’il soit par la faim. Il lui faut du grain et des fruits ou bien des larves et des insectes. Suivant qu’il recherche l’un ou l’autre de ces genres de nourriture, le freux est pour nous un auxiliaire ou un ennemi. Aussi des avis opposés sont émis sur son compte. Les uns, ne prenant en considération que ces dégâts dans les terres ensemencées, veulent qu’on leur fasse une guerre implacable, et calculent que pour un freux détruit, c’est au moins un boisseau de blé de gagné. D’autres ont principalement en vue la destruction des larves et des insectes. Ils disent que les freux méritent bien de l’agriculture, qu’ils débarrassent les prairies de leur vermine, qu’ils suivent le laboureur pour ramasser les vers blancs dans les sillons, qu’ils atteignent de leur bec pointu le hanneton se métamorphosant dans la terre. Pour ces motifs, très bien fondés du reste, ils déclarent le freux digne de notre protection.

Louis. — Lequel des deux avis accepter ?

Paul. — À mon sens, ni l’un ni l’autre, mais prendre un moyen terme, comme au sujet de la taupe. Si les vers blancs abondent, tolérons les freux, qui leur font si bien la guerre ; dans le cas contraire, chassons-les de nos champs. Nous avons contre les larves de hannetons deux auxiliaires de première valeur, la taupe et le freux, pour lesquels malheureusement il faut mettre en balance les services et les dégâts. Respectons-