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LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

vrai dans cette herbe du fer et dans cette appréhension du pic de percer de part en part un tronc d’arbre à chaque coup de bec. Ce fut le sujet de la conversation du soir avec l’oncle.

Paul. — Il y a du vrai et du faux à la fois dans ce que vous a dit mon brave Jacques. Le vrai, c’est ce qu’il a observé lui-même ; le faux, c’est ce qu’il répète d’après les croyances reçues dans la campagne. Il vous a très bien renseignés sur les divers cris du pic, qu’il connaît à merveille, pour les avoir souvent entendus ; il a dit vrai sur l’habitude qu’a l’oiseau de se porter rapidement de l’autre côté du tronc qu’il vient de frapper de quelques coups de bec. Tout le reste est une fausse interprétation des manœuvres du pic, ou bien un conte imaginé à plaisir et dont l’histoire véritable vous fera entrevoir l’origine.

Les pics se nourrissent uniquement d’insectes et de larves, surtout des espèces qui vivent dans le bois. Les gros vers des capricornes, des cerfs-volants, des saperdes et autres coléoptères sont leur mets favori. Pour les atteindre, il faut faire voler en pièces les écorces mortes et sonder le bois vermoulu. L’instrument employé à ce rude travail est le bec, qui est droit, en forme de coin, carré à la base, cannelé dans sa longueur et taillé à la pointe comme un ciseau de charpentier. Il est d’une substance si dure, si solide, que, pour s’expliquer un outil de cette perfection, quelque bûcheron naïf a imaginé le conte répété depuis, le conte puéril de l’herbe du fer. Ai-je besoin de vous dire que cette herbe n’existe pas, et qu’il n’y a même au monde rien qui par son contact puisse communiquer aux objets la dureté du fer ou de l’acier ?

Jules. — Je m’en doutais bien quand Jacques en parlait ; je n’ai jamais voulu croire à son herbe merveilleuse.

Paul. — Le pic n’a nullement besoin de se frotter le bec contre n’importe quoi pour lui communiquer la dureté que nécessite l’ouvrage à faire ; il naît et vit avec un bec solide, qui n’a jamais besoin d’une retrempe. Ce bec sort d’un crâne très épais, que n’ébranlent pas les commotions du choc ; il est mis en mouvement par un cou robuste et raccourci, qui réitère les chocs sans fatigue, dût l’oiseau creuser le bois jusqu’au cœur du tronc. L’excavation faite, le pic y darde une langue démesurément longue, arrondie comme un ver, visqueuse, armée d’une pointe dure et barbelée dont il perce, dans leurs trous, les larves mises à découvert.