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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

rouge, visqueux, enfariné de débris de phalènes, ses gros yeux saillants, lui donnent un peu la tournure du crapaud. C’est ce qui lui a mérité le nom vulgaire de crapaud volant. On l’appelle encore tette-chèvre, par une fausse interprétation d’un détail de ses mœurs. L’engoulevent fréquente volontiers le voisinage des parcs et des bergeries, pour donner la chasse aux stercoraires qu’attire le crottin des troupeaux. Le voyant apparaître au milieu de leurs brebis et de leurs chèvres, des bergers se sont imaginé qu’il vient là pour teter. En y regardant de plus près, ils auraient reconnu combien leur supposition est ridicule. Un oiseau teter, allons donc ! Mais plus une idée est ridicule, plus elle a de chance de se propager ; et le nom absurde de tette-chèvre est plus connu dans bien des localités que le nom si juste, si expressif, d’engoulevent.

Cet oiseau nous arrive des pays chauds vers le mois de mai et nous quitte en septembre. Il ne construit pas de nid, imitant en cela divers oiseaux de proie nocturnes. Quelque trou en terre ou parmi les pierrailles, au pied d’un arbre ou d’un rocher, et le plus souvent laissé tel qu’il se trouve, lui suffit pour sa ponte, composée de deux ou trois œufs, mouchetés de fauve et de bleuâtre sur un fond blanc.

En terminant, j’appelle tout votre intérêt sur ces oiseaux à grand gosier qui chassent l’insecte au vol, principalement sur les martinets et les hirondelles, incomparables défenseurs de nos greniers, de nos jardins, de nos vestiaires, de nos propres personnes. Que penseriez-vous de quelqu’un qui posséderait l’exécrable secret de créer par boisseaux teignes et moucherons, alucites et phalènes, pyrales, charançons et cousins, et lâcherait dans les airs la calamiteuse engeance ?

Louis. — Il ferait œuvre pendable.

Paul. — Ainsi ferait celui qui tue une hirondelle. Il ne procrée pas, il est vrai, des teignes, des alucites et des cousins, mais il sauve la vie à ceux que l’hirondelle aurait mangés ; il fait œuvre pendable tout autant que s’il les créait exprès pour les lâcher sur nous. Il fait œuvre impie, car il accueille avec du plomb la gentille, la joyeuse créature, messagère du printemps, qui vient, confiante, lui demander l’hospitalité sous le rebord du toit de sa maison ; il fait œuvre de famine, car il favorise la multiplication des races dévorantes, prélevant chaque année sur les biens de l’agriculture des valeurs qui se chiffrent par milliers de millions, et de jour en jour plus