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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

célèbre naturaliste français Buffon, celui qui a su le plus éloquemment parler des animaux. Il faut vous dire que les chauves-souris ont l’habitude de se retirer en bandes nombreuses dans les vieilles tours, les grottes, les carrières abandonnées. C’est là qu’elles passent les heures du plein soleil, appendues immobiles à la voûte, pour en sortir à la tombée du jour. Le sol de ces retraites finit par se recouvrir d’une couche épaisse de déjections qui permet de juger du genre d’alimentation des chauves-souris et de l’importance de leurs chasses. Or voici ce que dit Buffon d’une grotte hantée par les chauves-souris :

« Étant un jour descendu dans les grottes d’Arci, je fus surpris d’y trouver une espèce de terre d’une singulière nature. C’était une couche de matière noirâtre, épaisse de plusieurs pieds, presque entièrement composée de portions d’ailes et de pattes de mouches et de papillons, comme si ces insectes se fussent rassemblés en nombre immense et réunis dans ce lieu pour y périr et pourrir ensemble. Ce n’était autre chose que de la fiente de chauve-souris amoncelée pendant des années. »

Jules. — Voilà un curieux terreau, uniquement composé de débris d’insectes.

Paul. — J’ajouterai que parfois ce terreau de mouches et de papillons est assez abondant au fond des vieilles carrières et des cavernes pour que l’agriculture le prenne en considération et l’utilise comme un engrais d’une puissante énergie. On le nomme guano de chauves-souris.

Louis. — Pour former de pareils entassements, c’est donc par millions et millions que les chauves-souris détruisent les insectes ?

Paul. — Cinq à six douzaines de mouches ou de papillons suffisent à peine pour le repas du soir d’une chauve-souris ; quelques hannetons se présenteraient-ils encore qu’ils seraient happés avec satisfaction. Si la bande des chasseurs est nombreuse, jugez des milliers de ravageurs détruits en une saison. Après les oiseaux, nous n’avons pas de plus vaillants auxiliaires que les chauves-souris ; aussi vous recommanderai-je hautement ces précieuses bêtes, qui pendant notre sommeil, alors que nous rêvons peut-être de nos fruits, de nos blés, de nos raisins, font en silence une guerre d’extermination aux ennemis de nos récoltes, et détruisent chaque soir par