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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

patte si leste, ni l’incomparable patience à l’affût, le hérisson ne se livre pas à l’égard des rats à des chasses suivies ; mais si de fortune quelqu’un lui tombe sous la dent, avec plaisir il en fait curée, car son grand régal est le sang, la chair fraîche. Quand je veux leur faire fête, il m’arrive de jeter à mes hérissons du foie de bœuf tout saignant, des intestins crus de volaille. Tout cela est dévoré avec une avidité extrême. Des goûts aussi franchement carnassiers vous disent assez ce que doit devenir une souris par eux capturée. J’attribue à leur présence dans le jardin la disparition de quelques nichées de rats qui dans le temps m’incommodaient.

Pour satisfaire ses appétits gloutons, le hérisson paraît s’attaquer à toute espèce de proie indifféremment ; il croque même la vipère, sans nul souci de son venin. Écoutez ceci, que je puise dans le livre d’un savant observateur : « J’avais dans une caisse une femelle de hérisson qui nourrissait ses petits ; j’y mis une vigoureuse vipère, qui s’enroula dans le coin opposé. Le hérisson s’approcha lentement et flaira le reptile, qui, dressant aussitôt la tête, se mit en garde en montrant ses crochets venimeux. Un instant l’agresseur recula, mais pour revenir bientôt sans précautions. La vipère le mordit au bout du museau. Le hérisson lécha sa blessure saignante, reçut une seconde morsure à la langue sans se laisser intimider, et saisit enfin le serpent par le milieu du corps. Les deux adversaires roulèrent pêle-mêle furieux, le hérisson grognant, la vipère soufflant et lançant piqûre sur piqûre. Tout à coup, le hérisson la happa à la tête, la broya entre les dents et, sans le moindre signe d’émotion, se mit aussitôt à dévorer la moitié antérieure du reptile. Cela fait, il regagna le coin opposé de la caisse et, se couchant sur le côté, se mit tranquillement à faire teter ses petits. Le lendemain il mangea le reste de la vipère. »

Jules. — Et le hérisson ne mourut pas de toutes ces blessures envenimées ?

Paul. — Nullement ; il n’en parut pas même incommodé. « À quelques jours d’intervalle, la même expérience fut plusieurs fois renouvelée avec d’autres vipères ; le résultat fut le même. En dépit des morsures qui lui mettaient le museau en sang, le hérisson finissait toujours par dévorer le reptile, et jamais ni la mère ni les petits ne s’en trouvèrent mal. » Que le hérisson soit tout à fait insensible au venin de la vipère, c’est