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SUR LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

Les enfants du quartier, cruels sans conscience, comme on l’est à leur âge, plus cruels encore quand l’homme en donne le triste exemple, s’étaient attroupés devant le portail et riaient aussi des tortures du hibou. Jean leur raconta que sa voisine, la vieille Annette, était morte, il y avait deux semaines, parce que le hibou était venu, trois fois de file, chanter sur le toit de sa maison. « Ces bêtes-là, disait-il, sont des oiseaux de malheur ; ça va dans les églises boire, la nuit, l’huile des lampes ; ça va sur le toit des malades prédire leur mort ; ça se réjouit, dans un trou du clocher, quand sonne le glas pour un enterrement. » — Les enfants étaient terrifiés.

« Regarde, disait le plus jeune en se serrant contre son frère, comme le hibou nous menace avec ses gros yeux rouges ; il doit être bien méchant.

— Il est si laid, disait un autre, faisons-lui bien du mal. Cela lui apprendra de se réjouir de la mort des gens et de boire l’huile des saintes lampes. Jean, crevez-lui les yeux avec ce bâton pointu, puisqu’il nous regarde méchamment ; mettez-lui ce morceau de verre entre les griffes, il se coupera lui-même les doigts. »

Et chacun jetait son injure au patient, chacun s’ingéniait à trouver un raffinement de tortures. Louis vint à passer. On l’appela pour assister au supplice. Plus accessible à la pitié que ses camarades, depuis surtout qu’il fréquentait la maison de l’oncle Paul, Louis détourna les yeux de cet affreux spectacle et pria Jean d’achever l’oiseau, au lieu de le faire agoniser dans d’horribles tortures. Ne pouvant l’obtenir, il s’en alla le cœur navré.

Comme il s’en retournait, une parole de Paul lui revint en esprit, parole dite au sujet des chauves-souris : « Quand la foule ignorante s’accorde à dire d’une chose que c’est noir, il convient de s’informer d’abord si par hasard ce ne serait pas blanc. — Voilà Jean, se dit-il, Jean le Borgne, connu dans le pays pour sa crasse ignorance ; il n’a jamais ouvert un livre et s’en fait gloire ; il est incapable de mettre son nom par écrit sur le papier ; il se refuse, avec un entêtement de mulet, à toute bonne idée. Il ameute en ce moment les enfants contre le misérable hibou qu’il vient de clouer sur son portail ; pour donner un semblant de raison à sa barbarie, il leur raconte que c’est l’oiseau des cimetières, l’oiseau funeste qui porte malheur aux gens. À son dire, le hibou est une bête malfai-