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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

acquise, il est de force à tenir tête au chat. Sa présence en Europe remonte seulement au milieu du dix-huitième siècle ; il paraît avoir été amené de l’Inde, dans la cale des navires, que d’habitude il infeste. Il est maintenant répandu dans toutes les parties du monde. Son pelage est brun roussâtre en dessus, cendré en dessous. Le nom de surmulot lui a été donné à cause de sa ressemblance avec le mulot, qu’il dépasse de beaucoup en dimension.

Les surmulots fréquentent les magasins, les celliers, les égouts, les dépôts d’ordures, les établissements d’équarrissage. Tout est bon pour ces bêtes immondes et audacieuses, dont la dent vorace ose même attaquer l’homme endormi. Dans les grandes villes, ils se multiplient au point de causer de sérieuses appréhensions. Aux environs de l’établissement d’équarrissage de Montfaucon, à Paris, le sol est tellement miné par leurs innombrables terriers, que des maisons menacent de s’effondrer sur ce terrain sans consistance. Pour les préserver de la ruine, il faut en protéger les fondements contre l’attaque des rats, au moyen d’une profonde ceinture de tessons de bouteille.

Jules. — Par quoi donc sont-ils attirés si nombreux en ces lieux ?

Paul. — Par la nourriture abondante, par les cadavres des chevaux abattus. En une nuit, s’ils sont abandonnés dans les cours de l’établissement, les chevaux morts sont rongés jusqu’aux os. Pendant les fortes gelées, si l’on néglige d’enlever la peau à temps, les surmulots s’introduisent dans le cadavre, s’y établissent, en rongent toute la chair, et lorsque, au dégel les ouvriers se mettent à écorcher la bête, ils ne trouvent au dedans de la peau qu’une nuée de rats grouillant entre les os d’une carcasse blanchie.

Émile. — N’a-t-on pas des chats pour se défendre ?

Paul. — Des chats ! Les surmulots les mangeraient vivants, mon ami, et ce serait bientôt fait. On a mieux ; on a des chiens, des terriers et des boule-dogues, qui les traquent dans les égouts avec une étonnante adresse et leur cassent les reins d’un coup de dent. Le boule-dogue, voilà le chat qu’il faut à de pareilles souris. La battue dans les égouts doit d’ailleurs se renouveler souvent, car les surmulots se multiplient avec une effrayante rapidité, et si l’on n’y veillait, tôt ou tard la ville serait compromise : l’horrible bête, forte de