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Pour lui, la célèbre chanteuse est certainement une sauterelle.

Grandville, dont le crayon rivalise de fine malice avec le texte illustré, commet la même confusion. Dans son dessin, voici la Fourmi costumée en laborieuse ménagère. Sur le seuil de sa porte, à côté de gros sacs de blé, elle tourne dédaigneusement le dos à l’emprunteuse qui tend la patte, pardon, la main. Grand chapeau en cabriolet, guitare sous le bras, jupe collée aux mollets par la bise, tel est le second personnage, à effigie parfaite de sauterelle. Pas plus que La Fontaine, Grandville n’a soupçonné la vraie Cigale ; il a magnifiquement traduit l’erreur générale.

D'ailleurs, dans sa maigre historiette, La Fontaine n’est que l’écho d’un autre fabuliste. La légende de la Cigale, si mal accueillie de la Fourmi, est vieille comme l’égoïsme, c’est-à-dire comme le monde. Les bambins d’Athènes, se rendant à l’école avec leur cabas en sparterie bourré de figues et d’olives, la marmottaient déjà comme leçon à réciter. Ils disaient : « En hiver, les Fourmis font sécher au soleil leurs provisions mouillées. Survient en suppliante une Cigale affamée. Elle demande quelques grains. Les avares amasseuses répondent « Tu chantais en été, danse en hiver. » Avec un peu plus d’aridité, c’est exactement le thème de La Fontaine, contraire à toute saine notion.

La fable nous vient néanmoins de la Grèce, pays par excellence de l’olivier et de la Cigale. Ésope en est-il bien l’auteur, comme le veut la tradition ? C’est douteux. Peu importe après tout : le narrateur est Grec, il est compatriote de la Cigale, qu’il doit suffisamment connaître. Il n’y a pas dans mon village de paysan assez borné pour