Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, deuxième série, 1894.pdf/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de pèlerin. Je tiens ces récits en médiocre estime ; ils viennent d’observateurs improvisés, sans critique, portés à l’exagération. Il n’est pas donné au premier venu de parler correctement de la bête. Lorsque quelqu’un qui n’est pas du métier me dit de l’animal : c’est noir, je commence par m’informer si par hasard ce ne serait pas blanc ; et bien des fois le fait se trouve dans la proposition renversée. On me célèbre le chat comme expert en voyages. C’est bien : regardons-le comme un inepte voyageur. J’en serais là, si je n’avais que le témoignage des livres et des gens non habitués aux scrupules de l’examen scientifique. Heureusement j’ai connaissance de quelques faits qui ne laissent aucune prise à mon scepticisme. Le chat mérite réellement sa réputation de perspicace pèlerin. Racontons ces faits.

Un jour, c’était à Avignon, parut sur la muraille du jardin un misérable chat, le poil en désordre, les flancs creux, le dos dentelé par la maigreur. Il miaulait de famine. Mes enfants, très jeunes alors, eurent pitié de sa misère. Du pain trempé dans du lait lui fut présenté au bout d’un roseau. Il accepta. Les bouchées se succédèrent si bien que, repu, il partit malgré tous les « Minet ! Minet ! » de ses compatissants amis. La faim revint et l’affamé reparut au réfectoire de la muraille. Même service de pain trempé dans du lait, mêmes douces paroles ; il se laissa tenter. Il descendit. On put lui toucher le dos. Mon Dieu ! qu’il était maigre !

Ce fut la grande question du jour. On en parlait à table ; on apprivoiserait le vagabond, on le garderait, on lui ferait une couchette de foin. C’était bien une belle affaire ! Je vois encore, je verrai toujours le conseil d’étourdis délibérant sur le sort du chat. Ils firent