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j’espère démontrer expérimentalement que les fournis rousses ne sont pas guidées par une odeur.

Épier la sortie de mes Amazones, des après-midi entières, et fort souvent sans succès, me prenait trop de temps. Je m’adjoignis un aide, dont les heures étaient moins occupées que les miennes. C’était ma petite-fille Lucie, espiègle qui prenait intérêt à ce que je lui racontais sur les Fourmis. Elle avait assisté à la grande bataille des rousses et des noires ; elle était restée toute pensive devant le rapt des enfants au maillot. Bien endoctrinée sur ses hautes fonctions, toute fière de travailler déjà, elle si petite, pour cette grande dame, la Science, Lucie parcourait donc le jardin lorsque le temps paraissait favorable, et surveillait les Fourmis rousses, dont elle avait mission de reconnaître soigneusement le trajet jusqu’à la fourmilière pillée. Son zèle avait fait ses preuves, je pouvais y compter. Un jour, à la porte de mon cabinet, tandis que j’alignais ma prose quotidienne :

— Pan ! pan ! C’est moi, Lucie. Viens vite : les rousses sont entrées dans la maison des noires. Viens vite !

— Et sais-tu bien le chemin suivi ?

— Je le sais ; je l’ai marqué.

— Comment ? Marqué et de quelle manière ?

— J’ai fait comme le Petit Poucet : j’ai semé des petits cailloux blancs sur la route.

J’accourus. Les choses s’étaient passées comme venait de me le dire ma collaboratrice de six ans. Lucie avait fait à l’avance sa provision de petites pierres, et voyant le bataillon des fourmis sortir de la caserne, elle l’avait suivi pas à pas en déposant de distance en distance ses pierres sur le trajet parcouru. Les Ama-