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haut peuvent laisser tomber par mégarde un peu de mortier dans les cellules inférieures ; la propriétaire elle-même, quand elle travaille à l’agrandissement du pot, court risque de laisser choir sur les provisions un granule de ciment. Un moucheron, attiré par l’odeur, peut venir s’engluer dans le miel ; des rixes entre voisines qui mutuellement se gênent, peuvent y faire voler de la poussière. Tout cela doit disparaître, et à l’instant, pour que la larve plus tard ne trouve pas bouchée grossière sous sa délicate mandibule. Donc les Chalicodomes doivent savoir expurger la cellule de tout corps étranger. Et ils le savent très bien, en effet.

Je dépose à la surface du miel cinq ou six petits bouts de paille d’un millimètre de longueur. Pose étonnée de l’insecte qui, revenant, voit ces objets. Dans son magasin, jamais ne s’étaient amassées tant de balayures. L’abeille retire les bouts de paille un à un, jusqu’au dernier, et chaque fois va les rejeter au loin. Effort énormément disproportionné avec le déblai ; je la vois s’élever par-dessus le platane voisin, à une dizaine de mètres de hauteur, et s’en aller par-delà rejeter la charge, un atome. Elle craindrait d’encombrer la place en laissant tomber son bout de paille à terre, au-dessous du gâteau. Il faut porter cela très loin.

Je mets sur la pâtée un œuf de Chalicodome pondu sous mes yeux dans une cellule voisine. L’abeille l’extrait et va le rejeter au loin, comme les bouts de paille de tantôt. Double conséquence pleine d’intérêt. D’abord cet œuf précieux, pour l’avenir duquel l’abeille s’exténue, est chose sans valeur, encombrante, odieuse, provenant d’une autre. L’œuf de soi-même est tout ; l’œuf de sa voisine n’est rien. Ça se jette à la voirie,