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l’œuf est pondu sur trois millimètres de miel ; dans deux, sur un millimètre ; dans les deux autres, il est déposé sur la paroi du récipient totalement à sec, ou mieux n’ayant que l’enduit, le vernis, laissé par le frottement du coton emmiellé.

La conséquence saute aux yeux : l’insecte ne juge pas de la quantité du miel d’après l’élévation du niveau ; il ne raisonne pas en géomètre, il ne raisonne pas du tout. Il amasse tant qu’agit en lui l’impulsion secrète qui le pousse à la récolte jusqu’à complet approvisionnement ; il cesse d’amasser lorsque cette impulsion est satisfaite, n’importe le résultat accidentellement sans valeur. Aucune faculté psychique, aidée de la vie, ne l’avertit que c’est assez, que c’est trop peu. Une prédisposition instinctive est son seul guide, guide infaillible dans les conditions normales, mais dérouté en plein par les artifices de l’expérimentation. Avec la moindre lueur rationnelle, l’insecte déposerait-il son œuf sur le tiers, sur le dixième des vivres nécessaires ; le déposerait-il dans une cellule vide ; laisserait-il le nourrisson sans nourriture, incroyable aberration de la maternité ? J’ai raconté, que le lecteur décide.

Sous un autre aspect éclate cette prédisposition instinctive, qui ne laisse pas à l’animal la liberté d’agir et par là même la sauvegarde de l’erreur. Accordons à l’abeille tout le jugement qu’on voudra. Ainsi douée, sera-t-elle capable de mesurer à la future larve sa ration ? En aucune manière. Cette ration, l’abeille ne la connaît pas. Rien ne renseigne la mère de famille, et cependant, en son premier essai, elle remplit le pot à miel au degré voulu. En son jeune âge, il est vrai, elle