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rité comme la sienne, le coup me paraissait immanquable : la proie se mouvait gauchement un peu de côté comme les crabes. Je jugeais le coup facile ; le Pompile le jugeait très périlleux. Je suis aujourd’hui de son avis : s’il avait pénétré dans le tuyau de feuilles, la maîtresse de céans l’opérait par la nuque, et le chasseur devenait gibier.

Les années se passent et le paralyseur d’Araignées refuse son secret ; les circonstances me servent mal, le loisir me manque, de dures préoccupations m’absorbent. Enfin, dans ma dernière année de séjour à Orange, la lumière se fait. J’avais pour enceinte du jardin une vieille muraille, noircie, délabrée par le temps, où, dans les interstices de pierres, vivait une population d’Araignées, représentée surtout par la Ségestrie perfide. C’est la vulgaire Araignée noire, ou Araignée des caves. Elle est en entier d’un noir intense, sauf les mandibules, qui sont d’un superbe vert métallique. Ses deux poignards à venin semblent l’œuvre d’une fine métallurgie travaillant le bronze. Dans toute maçonnerie abandonnée, il n’est pas de recoin tranquille, de trou de la grosseur du doigt, où ne s’établisse la Ségestrie. Sa toile est un entonnoir très évasé, dont l’ouverture, de l’ampleur d’un pan tout au plus, s’étale à la surface de la muraille, où des fils rayonnants la maintiennent fixée. À cette nappe conique fait suite un tube qui plonge dans un trou du mur. Au fond est le réfectoire où l’Araignée se retire pour dévorer à l’aise la proie saisie.

Les deux pattes postérieures plongées dans le tube pour y prendre appui, les six antérieures étalées autour de l’orifice pour mieux percevoir tout à la ronde les