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voisine accourut chez Favier lui soumettre sa trouvaille, l’engageant à m’en parler. Elle me céderait les précieuses graines ; il devait en sortir quelque arbuste merveilleux qui ferait l’ornement de mon jardin. — « Vaqui la flou, va qui lou pécou ; voilà la fleur, voilà la queue », disait-elle à Favier en lui montrant les deux bouts de son fruit.

Favier éclata de rire. — « C’est un oursin, fit-il, une châtaigne de mer ; j’en ai mangé à Constantinople. » Et il expliqua de son mieux ce que c’est qu’un oursin. L’autre n’y comprit rien et persista dans son dire. En son idée, Favier la trompait, jaloux que des graines aussi précieuses m’arrivassent par une autre voie que la sienne. Le litige me fut soumis. « Vaqui la flou : va qui lou pécou », répétait la bonne femme. Je lui dis que la flou était le groupe des cinq dents blanches de l’oursin, et que le pécou était l’antipode de la bouche. Elle partit, non bien convaincue. Peut-être que maintenant les semences du fruit, grains de sable sonnant dans la coque vide, germent en un vieux toupin égueulé.

Favier connaît donc beaucoup de choses, et il les connaît surtout pour en avoir mangé. Il sait le mérite d’un râble de blaireau, la valeur d’un cuissot d’un renard ; il est expert sur le morceau préférable d’une anguille des buissons, la couleuvre ; il a fait rissoler dans l’huile le lézard ocellé, la mal famée Rassade du Midi ; il a médité la recette d’une friture de criquets. Je suis étonné des impossibles ratas que lui a fait pratiquer sa vie cosmopolite.

Je ne suis pas moins surpris de son coup d’œil scrutateur et de sa mémoire des choses. Que je lui décrive une plante quelconque, pour lui mauvaise herbe sans