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de l’organisation de la victime. L’avantage lui reste encore si l’on considère la délicatesse du résultat obtenu. Sa chenille n’est pas un cadavre comme le bœuf dont la moelle est tranchée ; elle vit, mais incapable de se mouvoir. À tous égards, l’insecte est ici supérieur à l’homme.

Or, comment est venue au boucher de nos pays, au desnucador des pampas, l’idée de plonger un stylet à la naissance de la moelle pour obtenir la mort soudaine d’un colosse qui ne se laisserait pas égorger sans périlleuse résistance ? En dehors des gens du métier et des hommes de science, personne ne connaît, ne soupçonne le résultat foudroyant d’une telle blessure ; nous sommes presque tous, sur ce sujet, en cet état d’ignorance où je me trouvais moi-même lorsque la curiosité enfantine me fît entrer dans l’atelier d’égorgement. Le desnucador et le boucher ont appris leur art, enseigné par la tradition et l’exemple ; ils ont eu des maîtres, et ceux-ci ont été élevés à l’école d’autres maîtres, remontant par une chaîne de traditions jusqu’au premier qui, servi sans doute par un événement de chasse, reconnut les redoutables effets d’une blessure faite à la nuque. Qui nous dira si quelque pointe de silex, plongeant par hasard dans la moelle cervicale du Renne ou du Mammouth, n’a pas éveillé l’attention du précurseur du desnucador ? Un fait fortuit a fourni l’idée première, l’observation l’a confirmée, la réflexion l’a mûrie, la tradition l’a conservée, l’exemple l’a propagée. Dans l’avenir, même filière de transmission. En vain les générations se succéderaient, la descendance du desnucador reviendrait, privée de maîtres, à l’ignorance primitive. L’hérédité ne transmet pas l’art de