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l’Ammophile s’est trouvée en présence de sa chenille, rien, d’après vous, ne pouvait diriger l’aiguillon. Il n’y avait pas de raison pour un choix. Les coups de dard devaient s’adresser à la face supérieure de la proie saisie, à la face inférieure, aux flancs, à l’avant, à l’arrière indistinctement, d’après les chances d’une lutte corps à corps. L’Abeille et la Guêpe piquent aux points qu’elles peuvent atteindre, sans prédilection pour une partie plutôt que pour une autre. Ainsi devait se comporter l’Ammophile ignorante encore de son art.

Or, combien y a-t-il de points dans un ver gris, à la surface et à l’intérieur ? La rigueur mathématique répondrait une infinité ; il nous suffit de quelques cents. Sur ce nombre, neuf points, peut-être plus, sont à choisir ; il faut que l’aiguillon plonge là et non ailleurs ; un peu plus haut, un peu plus bas, un peu de côté, il ne produirait pas l’effet voulu. Si l’événement favorable est un résultat fortuit, combien faut-il de combinaisons pour l’amener, combien de temps pour épuiser les cas possibles ? Lorsque la difficulté devient par trop pressante, vous prenez refuge derrière le nuage des siècles, vous reculez dans les ténèbres du passé aussi loin que la fantaisie puisse conduire, vous invoquez le temps, le facteur dont nous disposons si peu et par cela même convient si bien à dissimuler nos chimères. Ici donnez-vous carrière et prodiguez les siècles. Brouillons dans une urne des centaines de signes de valeur différente, et tirons en neuf au hasard. Quand obtiendrons-nous de la sorte une série déterminée à l’avance, série qui est unique ? La chance est si faible, répond le calcul, qu’autant vaut la noter zéro et dire que l’arrangement attendu n’arrivera jamais.