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fixé en un point du ver, périra sous les contorsions du géant. Pas de moyen terme admissible, pas de demi-succès. Ou bien la chenille est opérée suivant toutes les règles, et la race de l’hyménoptère se perpétue ; ou bien la victime n’est que partiellement paralysée, et la descendance de l’hyménoptère périt dans l’œuf.

Dociles à l’inexorable logique des choses, nous admettrons donc que la première Ammophile hérissée, faisant capture d’un ver gris pour nourrir sa larve, opéra le patient par l’exacte méthode en usage aujourd’hui. Elle saisit la bête par la peau de la nuque, la poignarda en dessous en face de chacun des centres nerveux ; et si le monstre faisait mine de résister encore, elle lui mâcha le cerveau. Cela dut se passer ainsi, car, répétons-le, un meurtrier inexpert, ébauchant son ouvrage par à peu près, ne laisserait pas de successeur, l’éducation de l’œuf devenant impossible. Sans la perfection de sa chirurgie, l’abatteur de grosses chenilles s’éteint dès la première génération.

Je vous entends encore : avant de chasser le ver gris, l’Ammophile hérissée a pu choisir des chenilles plus faibles, qu’elle empilait plusieurs dans la même cellule, jusqu’à représenter la masse de victuailles de la grosse proie d’aujourd’hui. Avec un débile gibier, quelques coups d’aiguillon suffisaient, un seul peut-être. Peu à peu, la volumineuse proie a été préférée, comme réduisant les expéditions de chasse. À mesure que les générations successives faisaient choix d’une proie plus forte, les coups de dard se multipliaient, proportionnés à la résistance de la capture, et par degrés l’instinct élémentaire du début est devenu l’instinct perfectionné de notre époque.