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LES ÉPEIRES

Elle prend pour sien l’ouvrage d’autrui, même venu d’une étrangère à sa race. Arrivons au côté tragique de cette confusion.

Désireux d’avoir journellement à ma portée des sujets d’étude sans m’imposer des courses aléatoires, je fais récolte des diverses Épeires rencontrées à la campagne, et je les établis sur les broussailles de mon enclos. Une haie de romarins, à l’abri du vent et bien ensoleillée, devient ainsi populeuse ménagerie.

Extraites des cornets de papier où je les avais incarcérées une à une pour le transport, les Épeires sont déposées sur la verdure sans autre précaution. C’est à elles de s’établir à leur convenance. Habituellement, de tout le jour elles ne bougent guère du point où je les ai mises ; elles attendent la venue de la nuit pour rechercher un emplacement convenable et s’y tisser un filet.

Sur le nombre, il s’en trouve de moins patientes. Tantôt, entre les joncs d’un ruisselet ou dans les taillis d’yeuses, elles possédaient une toile, et voici qu’elles n’en ont plus. Elles se mettent en quête pour retrouver leur bien ou s’emparer de celui d’une autre, ce qui pour elles est tout un.

Je surprends une Épeire fasciée, nouvellement importée, qui s’avance sur la toile d’une Épeire soyeuse établie chez moi quelques jours avant. Cette dernière est à son poste, au centre du filet. Impassible en apparence, elle attend l’étrangère. Immédiatement prise de corps, bataille acharnée. La soyeuse a le dessous. L’autre l’enveloppe de liens, l’entraîne sur l’aire dépourvue de gluaux et, le plus tranquillement du monde, la mange. Mâchonné vingt-quatre heures et tari jusqu’au dernier suc, le cadavre, lamentable pilule, est enfin rejeté. La