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SOUVENIRS ENTOMOLOGIQUES

la seule satisfaction de savoir, et l’opiniâtre trappeur chassant le diplôme ainsi qu’une proie à mettre sous la dent, n’étaient pas faits pour se comprendre et s’associer. Le hasard fit la conjonction.

Bien des fois j’avais surpris mon homme qui, le soir, à la clarté d’une chandelle, les coudes sur la table et le front dans les mains, longuement méditait devant un grand cahier noirci de signes cabalistiques. De temps à autre, l’idée venue, il prenait la plume et traçait à la précipitée une ligne d’écriture où les lettres, grandes ou petites, se groupaient sans signification grammaticale. Les x et les y revenaient souvent, entremêlés de chiffres. À la fin de la rangée, le signe de l’égalité et zéro. Puis nouvelle réflexion, les yeux clos, et nouvelle rangée de lettres disposées dans un autre ordre et suivies pareillement de zéro. Ainsi se remplissaient des pages bizarres dont chaque ligne avait pour finale rien.

« Que faites-vous donc là avec tous ces alignements de valeur zéro ? » lui demandai-je un jour. Le mathématicien. me regarda d’un air narquois, venu de la caserne. Certain pli malicieux du coin de l’œil dénotait en quelle commisération était prise mon ignorance. Le collègue à zéros n’abusa pas cependant de sa supériorité. Il m’apprit qu’il s’occupait de géométrie analytique.

Ce terme me fit un étrange effet. Silencieux, je ruminais ceci : il y a une géométrie supérieure, s’apprenant surtout avec des combinaisons de lettres où dominent les x et les y. Quand il réfléchit si longuement, le front dans les mains, mon voisin de cellule cherche à découvrir le sens caché de son grimoire ; il voit danser dans l’espace la traduction figurée de ses calculs. Qu’aperçoit-il ? Comment les signes alphabétiques, arrangés