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LA LYCOSE DE NARBONNE

Qu’une pièce de son goût vienne à passer, aussitôt, du haut de sa tour, la guetteuse s’élance, prompte comme un trait. D’un coup de poignard à la nuque, elle jugule Criquet, Libellule et autre gibier dont je suis le fournisseur ; non moins prompte, elle escalade le donjon et rentre avec sa proie. C’est merveilleux d’adresse et de célérité.

Bien rarement une pièce est manquoe, pourvu qu’elle passe à proximité convenable, dans le rayon de l’élan du chasseur. Mais si le gibier se trouve à quelque distance, par exemple sur le treillis de la cloche, la Lycose n’en tient compte. Dédaigneuse d’une poursuite, elle laisse la proie vagabonder. Pour faire son coup, il lui faut succès certain, Elle l’obtient au moyen de sa tour. Dissimulée derrière la muraille, elle voit venir l’arrivant ; elle le surveille, et quand l’autre est à sa portée, soudain elle bondit. Avec cette méthode de brusque surprise, l’affaire est certaine. Serait-il ailé et de rapide essor, l’étourdi qui s’approche de l’embuscade est perdu.

Cela suppose, il est vrai, de la part de la Lycose une belle patience, car le terrier n’a rien qui puisse servir d’appât et attirer les victimes. Tout au plus, le relief de la tourelle tentera peut-être de loin en loin, comme reposoir, quelque passant fatigué. Mais si le gibier ne vient pas aujourd’hui, il viendra demain, après-demain, ou plus tard, car dans la garrigue les Criquets sautillent innombrables, peu maîtres de leurs bonds. Un jour ou l’autre, la chance finira par en amener quelqu’un aux abords du terrier. Ce sera le moment de se jeter sur le pèlerin du haut du rempart. Jusque-là, vigilance imperturbable. On mangera quand on pourra, mais enfin on mangera.