Page:Fabre d’Églantine - Le Philinte de Molière, 1878.djvu/76

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Je pourrai, sans retard, voler vers mon ami.

ÉLIANTE.

Vers votre ami, monsieur ! Comment de votre bouche.
Ce nom peut-il sortir ainsi, sans qu’il vous touche ?
Et savez-vous quel sort le menace à présent ?
Ce qu’on a fait de lui ? ce qu’il fait ? ce qu’il sent ?
Ce dont il a besoin ? qu’il réclame peut-être ?
Eh ! devant lui, du moins, hâtons-nous de paraître ;
Et s’il peut être vrai qu’on peut l’abandonner,
Qu’il ne puisse, monsieur, du moins le soupçonner.
Sachez vous conserver l’honneur de son approche ;
Que son premier regard ne soit point un reproche.

PHILINTE.

Mais déjà près de lui j’aurais porté mes pas,
Je m’y rendrais encor… Mais ne voyez-vous pas
Qu’une fois entraîné dans ses propres affaires,
Je m’interdis alors mille soins nécessaires ?
Nécessaires pour vous ! mais vous vous refusez
À juger sainement de nos périls. Pesez,
Mais pesez donc, madame, avec exactitude
La gêne, les soucis, l’ennui, l’inquiétude,
Qui vont nous assaillir, s’il faut que ma maison
Languisse sous l’effort de cette trahison.
Ah ! cette crainte seule à l’instant me décide.
Partons, voyons nos gens…

ÉLIANTE.

Partons, voyons nos gens…Ah ! je suis moins timide
Ou plus épouvantée et plus faible que vous.
Mais de ces deux périls le nôtre a le dessous.
Mais l’image d’un homme innocent de tout crime,
Arrêté dans vos bras, où, noble et magnanime,
Il se rend l’instrument de votre liberté ;
Qui, par un jeu cruel de la fatalité,
Se voit chargé des fers dont sa main vous délivre ;
Que vous laissez aller tout à coup, sans le suivre ;
Que, depuis la douleur de ce coup imprévu,
Vous n’avez ni soigné, ni consolé, ni vu…
Ah ! monsieur, cette idée…