Page:Faguet - Dix-neuvième Siècle, SIL.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
330
ÉTUDES SUR LE XIXe SIÈCLE

sans étonnement (puisque c’est vrai !) ; sans pitié (de quoi sert-elle ?), sans insister ni s’arrêter à une abomination de plus ou de moins (nous savons bien, vous et moi, que cela arrive tous les jours !).

Quelquefois, et en vérité c’est sa manière de s’attendrir, une courte saillie d’ironie recuite et brûlante, à la Swift : «… Il faut laisser à un nègre au moins cinq pieds en longueur et deux en largeur pour s’ébattre, pendant une traversée de six semaines ; car enfin, disait Ledoux pour justifier cette mesure libérate, les nègres sont des hommes comme les blancs »[1]. — Mais, à l’ordinaire, le ton est admirable de détachement philosophique. Il feint de ne pas même éprouver « ce plaisir malicieux qu’ont certains critiques à surprendre les faiblesses et les platitudes des hommes[2]. » Il se contente d’en jouir intimement. Comme Montaigne, il fait une collection diligente de toutes les sottises humaines, mais non point pour en raisonner, seulement pour les regarder avec complaisance. Ce n’est que dans une lettre intime qu’il dit avec une insistance chagrine : « Défaites-vous de votre optimisme, et figurez-vous bien que nous sommes dans ce monde pour nous battre… Sachez aussi qu’il n’y a rien de plus commun que de faire le mal pour le plaisir de le faire. »

Un pessimiste froid et impassible, qui ne met même pas son pessimisme en belles théories ou en protestations éloquentes, n’a guère de plaisir en ce bas monde. Et pourtant il faut s’amuser un peu. Eh bien, on rira des illusions des autres, et des siennes propres, quand on les sent qui remontent du fond de notre sottise naturelle. —

  1. Tamango.
  2. Discours de réception.